Un couple pour l'hiver

Année de publication: 1974

 

LASSALLE Jacques      Un couple pour l'hiver, couverture d’Alain Chambon, collection "Théâtre en France", P.J. Oswald, décembre 1974. -111p.

Le texte de la pièce est suivi des notes de différents membres du Studio-Théâtre d’Ivry : Entre-dire de Jacques Lassalle, À mi-parcours de Henri-Pierre Jatteau (assistant à la dramaturgie), Décors et costumes d’Alain Chambon (avec croquis), Indications sur la production de la musique de Gérard Astor, Vers un théâtre de l‘utopie de Christian Drillaud, Lettre de Bernard Sultan.

Division de la pièce en quatre journées : dimanche 2 octobre 1973,  vendredi 17 octobre 1973,  samedi 19 janvier 1974,  jeudi 21 mars 1974. Deux personnages féminins : Chloé et Émilienne, deux jeunes femmes célibataires voisines vivant dans la même HLM de la banlieue parisienne. Chloé travaille au Prisu, vit avec sa mère et la fille qu’elle a eue avec Robelle, actuellement en prison (trois ans pour le braquage d’un pompiste le jour de ses dix-huit ans) et qui ne le sait pas. Émilienne, maîtresse-auxiliaire, trente ans, enseigne le français depuis six ans. Cinq personnages masculins. Antoine Chassagne,  20 ans, fils de paysan du Cantal, sorti de deux ans de service militaire avec permis poids lourd, vient à Paris, avec l’adresse d’Émilienne qui était venue passer des vacances d’été dans son village (le Fau, près de Salers) et qui va l’héberger (en arrière-plan, situation de Blanche de Mortsauf et Félix de Vandenesse dans "Le Lys dans la vallée" de Balzac). Mehdi, travailleur immigré kabyle algérien de Djidjelli qui intervient à partir de la troisième journée, collègue de travail d’Antoine. Présents à partir de la seconde journée sur un parking de la cité, deux voisins : Gruère, comptable au Paris Mutuel Urbain qui va progressivement se révéler raciste et Léopold Jobillard, contremaître chez Bitumax ; enfin Robelle, l’ex-copain de Chloé, qui vient de sortir de prison et dort dans une Dauphine abandonnée. Suite à la bagarre avec couteau cran d’arrêt qui conduira Robelle en prison, Antoine, gravement blessé au ventre, restera à l’hôpital deux mois. À sa sortie, il quittera Émilienne pour un foyer de travailleurs, sans savoir qu’elle est enceinte de lui. « Tu m’as assez protégé Émilienne. Maintenant  je suis partant avec les autres. Avec les autres, je lutterai depuis mon travail. Je partagerai leurs échecs, je connaîtrai leurs victoires. – Va-t-en. »

Création le 29 novembre 1974 au Théâtre Jean-Vilar de Vitry-sur-Seine, mise en scène de Jacques Lassalle, avec Christiane Rorato (Émilienne), MartIne Kalayan (Chloé), Christian Drillaud (Antoine), Bernard Spiegel (Gruère), Xavier Fonti (Jobillard), Daniel Girard (Robelle), Mahmoud Soldooz (Mehdi).

À un moment de la pièce, Émilienne évoque le film Lo Païs de Gérard Guérin, présenté hors compétition au Festival de Cannes, sorti le 22 novembre 1973. Gaston, 23 ans, a quitté son village de l'Aveyron pour Paris où il tente de trouver un travail. Il devient colleur d'affiches. Les rencontres qu'il fait éveillent sa conscience politique. Revenu dans son village à l'occasion de quelques jours de vacances, il assiste à des manifestations de paysans du Larzac. Cette expérience le conduit à prendre la décision de rester au pays. Scénario : Jean-Pierre Bastid,  Gérard Guérin et Gérard Mordillat. Musique : Gilles Servat  avec  Olivier Bousquet, Anny Nelsen, Nada Strancar, Gilles Servat, Anne-Marie Coffinet. 

"Ivry-Vitry, Vitez-Lassalle, le théâtre a décidément dans les banlieues, deux visages. À Vitez, linguiste soucieux de recherches sur les signes et sur les formes, accusé, forcément, de faire du théâtre «élitaire», répond Lassalle qu’on accusera de «populisme» - grief injuste - mais qui est incontestablement soucieux d’abord de communiquer au plus grand nombres ses recherches. Qui des deux a raison ? Débat pour plus tard. Plaidons coupable en tout cas : nous connaissions Vitez; nous ignorions Lassalle. Nous avions tort. un Couple pour l’hiver est un spectacle convaincant, si surprenant qu’il soit. On n’est pas loin d’admirer.  À contre-courant de toutes les modes d’aujourd’hui refusant délibérément toute forme d’abstraction et de sophistication, le spectacle se donne comme un feuilleton réaliste, à ceci près -  et la différence est de taille - que ce feuilleton aurait été élaboré par un brechtien. La distance est là pour nous rappeler à chaque instant que la fable n’est pas l’existence réelle, même quand on pourrait croire qu’elle la photographie. Un mot seulement pour donner la mesure du plaisir et de l’émotion qu’on éprouve devant ce réalisme subtil, dépouillé jusqu’à l’épure : je n’ai pas cessé de penser aux films de Renoir : même regard amical sur le quotidien, même pudeur, même tendresse, même lyrisme caché, même poésie du tous les jours; cela vous a un doux parfum de Front populaire, même si, dans une HLM 1975, cela grince davantage …Le thème ! Le quotidien dans un grand ensemble (Sur ce thème, Bisson, dans Sarcelles-sur-Mer avait fait une brillante variante gauchiste, avant qu’il ne fut devenu, hélas, ce qu’il est aujourd’hui). (…) De bons sentiments, mais pas un brin de mélo : la vie qui va, avec ses heurts et sa romance, croquis à la pointe sèche, pourtant une si grande tendresse incluse, une justesse de ton qui frappe, qui touche au coeur et nous hante longtemps, d’autant que Lassalle a une évidente maîtrise dans l’art théâtral. Une scénographie très remarquable (des échafaudages de boîtes en carton, métaphores de HLM qui se font et se défont, avec pour les scènes d’intérieur des meubles qui apparaissent insolites), l’utilisation des chansons, récitatifs genre «opéra des gueux », tout concourt à à activer la fiction; non, la fable n’est pas le réel, Brecht une fois encore est passé par là. Et pas un brin d’histrionisme, ni de bluff dans le jeu rigoureux des acteurs.Ce qui frappe, disons-le tout net, chez les metteurs en scène liés au P.C. (Vitez, Sobel, Lassalle) c’est la rigueur (un concept aussi bien éthique, qu’esthétique cf.Vilar) qui marque leurs spectacles, une rigueur dans le travail théâtral sur quoi beaucoup pourraient, aujourd’hui, prendre exemple." Gilles Sandier, Politique Hebdo, octobre 1975  puis dans  Théâtre en crise, La Pensée sauvage, 1982.