Les négriers

Année de publication: 1971

 

BOUKMAN Daniel   Les négriers, collection “Théâtre africain", n°11, P.J. Oswald, avril 1971.    - 80p.

Quatre ans après la publication de Chants pour hâter la mort du temps des Orphée, Oswald publie simultanément deux pièces du Martiniquais Daniel Boukman. La première, Les négriers est une pièce en trois parties, écrite entre août 1968 et septembre 1969 en Algérie, où vit alors l'auteur, condamné en France en 1961 pour désertion. Comme dans les trois "poèmes dramatiques" précédemment édités, elle a pour cadre la Martinique,"Madinina, l'île esclave". Elle se situe au début des années soixante, quand est créé le Bumidom, Bureau pour le développement des migrations dans les départements d'outre-mer. Dénommé "Dubidon" par Boukman, il "joue le rôle de vanne pour contrôler le débit c'est-à-dire accélérer, parfois freiner l'importation des bras et cerveaux d'outre-mer selon les exigences du Plan". Cette émigration promue par de nouveaux "négriers" permet de diminuer la surpopulation de l'île, d'en arracher "les bourgeons turbulents", de fournir les "troupeaux de prolétaires pour mater ( en métropole) les revendications insolentes des travailleurs ". Avec cette nouvelle traite, il s'agit aussi de dissoudre la population martiniquaise, de "la lessiver" pour faire place à un tourisme d'outre-mer, synonyme pour Boukman de prostitution généralisée. "Hé beau blond, tu ne veux pas ma conque-lambi ? " Tableau de la Martinique transformée en bordel de luxe entouré de barbelés où l'on peut voir de vrais coupeurs de cannes, un adolescent qui meurt d'ennui et même - contre une piècette - le "Ronsard des Antilles" dire un poème. Alors que la répression s'accroit, que le parti assimilationniste ("France et Martinique unies comme les deux yeux de la même figure") et que le Front pour l'automation révolutionnaire ("Vive la Martinique libre comme un cerf-volant") chantent la même chanson ("Paris, c'est une blonde"), surgissent les nègres marrons, "rebelles dans les mornes et les fonds / La mort plutôt que l'esclavage / notre devise qui n'a point d'âge." Ils rappellent que la libération en mai 1848 fut "arrachée", ils invitent à ne pas laisser mourir "la braise patiente. Elle attend sous nos cendres la chaleur de vos souffles."

Selon les Archives du spectacle, le texte fut porté à la scène en mai 1972 au Théâtre de l’Ouest Parisien - fondé en 1968 à Boulogne-Billancourt par Pierre Vieilhescaze et administré par Mohammed Boudia -  avec Robert Dieupart, Gabriel Glissant, Maxime Le Forestier, Christine Mezza, Christiane Succab, dans une mise en scène de Med Hondo (1936-2019) comédien pour Jean-Marie Serreau, Antoine Bourseiller, l'Othello de José Valverde. La BNF signale une représentation à Colombes en mai 1973 dans le cadre de la Fête internationale des travailleurs et de la jeunesse du PSU. En 1979, ayant bouclé une production franco-algéro-mauritanienne, Med Hondo, réalisateur de Soleil Ô (1967), Les bicots-nègres, vos voisins (1973), tournait pour le cinéma dans les usines Citroën désaffectées du quai de Javel à Paris, une adaptation de Les négriers, sous le titre West Indies ou Les nègres marrons de la liberté, avec notamment Robert Liensol, Roland Bertin, Hélène Vincent, Philippe Clévenot, Toto Bissainthe, Gabriel Glissant, Théo Légitimus, Fernand Berset, Gérald Bloncourt…

G.P.

Sur les travailleurs africains émigrés en France, voir aussi La traversée de la nuit dense de Charles Zègoa Nokan