Géronimo

Année de publication: 1975

 

BENEDETTO André              Géronimo, photos de couverture : recto Franck Randall (1886),verso  Frances Ashley, "Théâtre hors la France", P.J. Oswald,  juillet 1975. -90p.                                                                                                 

 Nous nous demanderons si, Provençaux, Occitans, nous sommes des Apaches à l’heure de sa mise en valeur  touristique et d’un pays momifié.                                                                                                                                                                                                         «Qui porte la veste de Géronimo ? Cette dépouille-là Cette image de vieux lutteur Qui va s’en emparer ?  Des milliards de Géronimo dans les écoles et qu’on dresse pour en faire des blancs.»

«On appelle patois la langue d’un peuple vaincu. Jaurès.»

Pièce créée en novembre 1974 au Théâtre des Carmes,  avec Jacqueline Benedetto, Marie-Charlotte Chamoux, Madeleine Ravel, André Benedetto, Bertrand Hurault, Jean-Louis Gaudas, Jean-Pierre Meyer et Jean-Marc Seyriessol.

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Ci-dessous Les régionalismes du Morbihan à Avignon "Geronimo" et les Occitans, article de Colette Godard, paru dans Le Monde le 28 juillet 1975.
"André Benedetto a fait de son théâtre des Carmes un centre occitan, par les troupes qu'il y accueille, les spectacles qu'il  y présente lui- même et par l'influence qu'il exerce sur des jeunes gens d'Avignon et des alentours qui veulent faire du théâtre ou chanter, ou peindre, se manifester, en tout cas, s'affirmer Occitans. Certains sont politisés et cherchent à intégrer leur lutte particulière à la lutte des classes - c'est la position de Benedetto - d'autres cherchent dans des brouillards idéologiques et les désastres bien précis de leur situation économique. Les uns comme les autres attendent beaucoup de Benedetto, agissent et réagissent en fonction de ce qu'il fait ou ne fait pas.
Benedetto écrit, joue, monte des spectacles. Avec son équipe il publie un journal, Esclarmonda. Il vend des livres dans une salle qui fait partie du théâtre, il expose des affiches, des poèmes, des dessins, un cheval blanc, un vrai cheval vivant, et il pose au fond d'une sépulture creusée tout exprès une poupée de bois avec des cheveux noirs et un drapeau rouge. Ce sont les clés de son spectacle Geronimo.

Benedetto a lu le journal de Geronimo. Il lui est apparu que ce chef indien, cent fois pris, cent fois évadé, trimbalé comme un animal de foire pour la joie frissonnante des petits enfants blancs, représentait le type même du résistant et que sa résistance aveugle était inutile. " Il a résisté. Il n'y avait rien d'autre à faire, mais c'était la dernière chose à faire. La dernière, après il n'y avait plus rien. " Geronimo n'est pas un héros positif, mais il amène à poser une question : qu'est-ce que l'identité culturelle, comment la revendiquer, comment être entendu et ne pas tomber dans les pièges de la réaction en niant le mouvement de l'histoire, comment participer à un mouvement qui néglige l'identité culturelle.

" Le théâtre ne peut pas donner de réponse politique ", dit Benedetto-Geronimo. Benedetto-auteur procède par raccourcis, par amalgames poétiques : les chevaux de Camargue décimés par l'industrialisation, abêtis par le tourisme, sont frères des chevaux indiens massacrés en même temps que leurs cavaliers. Occitans réduits à l'état de santons vivants, indiens enfermés dans des réserves, figurants de westerns hollywoodiens, et toutes les victimes de toutes les répressions, même ennemi, même combat...

" La confusion apparente, dit Benedetto, sert à éclairer la confusion qui règne chez les Occitans dans la manière d'aborder les problèmes. " Il ne fait rien pour les simplifier. Sur scène et - pourquoi pas ? - dans la salle, tout le monde est Geronimo. On apprend que le 1er mai 1886 le chef indien est capturé, que les ouvriers de Chicago se mettent en grève et qu'à Paris Bartholdi sculpte la statue de la Liberté.

Le spectacle se répand dans l'espace, joue avec la chronologie, avec des chansons, des slogans, des appels ironiques et passionnés dans une construction chaotique dont le seul lien semble être l'écriture rythmée de Benedetto, ses phrases claquantes, ses mots vrais et son humour incisif moins ombrageux pourtant que par le passé. Le spectacle tourne en rond, revient sans cesse à son point de départ avec une sorte de vitalité désespérée - celle peut-être qui a tenu Geronimo jusqu'à la mort, - mais de scène en scène l'éclairage diffère : " Alors, dit Benedetto, on quitte le domaine du rationnel, sans pour autant verser dans l'irrationnel et l'ésotérisme, et tout devient clair... "

Ce qui devient lumineux, c'est la complexité. Devant une telle accumulation on a l'impression que les arbres cachent la forêt, surtout si l'on n'est pas soi - même un apache - occitan. Mais il est trop facile de dire : " Regardons froidement les faits ". Les mouvements occitans sont nés de la colère."

Colette GODARD.