Et moi aussi je parle de la rose

Année de publication: 1973

 

CARBALLIDO  Emilio  Et moi aussi je parle de la rose, traduit du mexicain par Xavier Pommeret, dessin de couverture de Jean Kiras, texte de Maurice Delarue en quatrième de couverture, collection “Théâtre hors la France”, P. J. Oswald, achevé d'imprimer en septembre 1973 par Daniel Chénel imprimeur à Honfleur. - 67p.

Tonia et Polo, deux adolescents mexicains de 15 ans ont fait l’école buissonnière. Dans le terrain vague où ils jouent, ils trouvent un bidon rempli de ciment qu’ils déplacent, sans en mesurer les conséquences, sur la voie ferrée toute proche, entraînant de gros dégâts matériels : le déraillement d’une locomotive tractant trois wagons de marchandises ...

Dans la traduction de Xavier Pommeret, la pièce a été créée à Lyon (France) au Théâtre du Huitième, le 11 octobre 1973, mise en scène de Dagoberto Guillaumin et Pierre Vial.

Spectacle Comédie de Saint-Etienne et Théâtre de l'Est parisien. Chorégraphie de Hélène Stemler ; décors et costumes de Paule Delporte et Jean-Paul Ollagnon; musique de Rafael Elizondo; éclairage de Lucien Bastide.                                                                                                                                      Avec                                                                                                                                                   Monique Darpy : La Chiffonnière, la Femme de l'autobus, la Mère de Polo ; Valérie Descombes : Choryphée ; Marianne Epin : Tonia ; Danièle Gauthier : L'Institutrice, la Senora, l'Amie chiffonnière, la Mère de Tonia ; Michèle Larocque : La Vendeuse de mangues, l'Étudiante, la Fille, Paca ; Pierre Aim : Le Garçon, le Professeur de sociologie, un Danseur ; Fernando Becerril : Maximino ; Christian Damman : L'Étudiant ; Paul Descombes : L'Homme du téléphone, le Monsieur, le Speaker ; Prosper Diss : Le Vendeur de bonbons, le Crieur de journaux, Don Pepe, l'Ami du chiffonnier, un Danseur ; Alain Moussay : Polo ; Alphonse Thivrier : Le Chiffonnier ; Pierre Vial : L'Homme de l'autobus, le Professeur de psychologie.

Cette pièce avait été créée à Mexico le 16 avril 1966, dans une mise en scène de Dagoberto Guillaumin.

" Une femme  aux cheveux blancs, un châle sur les épaules, seule au bord de la scène, raconte des histoires.Quand nous sommes petits, cette femme est là vraiment : la grand-mère, qui raconte le Chaperon rouge. Quand nous avons grandi, elle n'est plus là, nous lisons seuls les histoires que raconte Hermann Hesse, ou Neruda ou un autre. Mais si l'histoire est belle et si les mots sont simples, justes, nous retrouvons aussitôt un état de songerie confiante, d'abandon, tout comme si l'on s'abandonnait à la grand-mère qui, en fait, est encore là, tendre fantôme qui gentiment nous dévoile à petits pas un monde dont, en même temps, elle nous protège. Et, en effet, pendant que les contes d'Emilio Carballido dits par cette femme nous distraient tant ils sont beaux, le monde n'est pas loin, là derrière, d'abord en ombres chinoises abruptes, puis qui surgit au premier plan avec les manchettes des journaux : guerre, politique, faits divers.Mais ces histoires que décrivent les journaux, elles peuvent être des contes aussi. Parce qu'elles viennent de loin, d'ailleurs. Nous n'y sommes pas. Il faut y croire. Cependant, elles ne déterminent pas en nous, comme le Chaperon rouge ou le poème de Neruda, un état de confiance. Seuls la grand-mère ou Neruda savent, sur un certain ton - un ton merveilleux - parler du poisson rouge ou, par exemple, de la rose. L'histoire du journal crée plutôt la réflexion, même l'inquiétude. Et il arrive que le journal provoque chez le lecteur de mauvais sentiments.Voici qu'il nous raconte que deux adolescents, une fille qui n'a pas fait ses devoirs et un garçon qui n'a plus de chaussures, ont " séché " l'école. Ils sont allés traînasser, ils ont volé une pièce de monnaie dans une cabine téléphonique, ils ont acheté des pistaches, ils ont joué dans un terrain vague, puis sur le ballast du chemin de fer. Et, en jouant encore, ils ont fait dérailler un train. Et Emilio Carballido nous les montre qui font tout ça. Faire dérailler un train, ce n'est pas difficile, et lorsqu'on songe aux kilomètres de voies ferrées qui passent partout, on se demande parfois quelle force mystérieuse retient les malades, ou des enfants, de ne pas s'essayer plus souvent à cette farce énorme. Mais voilà, c'est arrivé, ces deux-là l'ont fait, et ils sont tellement saisis, interdits, de l'avoir fait, qu'ils restent là, paralysés, sans songer une seconde à se sauver à toutes jambes, et ils se font arrêter. Alors, c'est le tour des grandes personnes, les policiers et les juges, les psychologues et les professeurs, et les militants confessionnels, politiques. Ces deux adolescents leur reviennent de droit. Les grands parlent. Ils ont des responsabilités à assurer. Ils veulent tirer des leçons. Or aucun d'eux, si savant soit-il, ne parvient même à imaginer une seconde ce qui est arrivé, là-bas, sur le ballast.Aucun d'eux n'est capable de se raconter l'histoire des deux adolescents qui ne sont pas allés, ce matin-là, à l'école. Parce qu'aucun d'eux n'est Neruda et ne sait, comme Neruda, parler de la rose. Il y a le juge et le psychologue, et les autres, qui parlent dans le vide, et à l'avant-scène il y a la grand-mère qui continue de parler si bien de la rose, mais qui l'écoute ? Elle n'a aucune prise sur la marche de la vraie histoire. Et entre les deux il y a les parents et l'ami du garçon et de la fille, qui n'essaient pas de comprendre parce qu'il est trop tard, qui essaient simplement d'agir, d'aider ces deux-là, de les empêcher, par exemple, de se tuer dans la prison, comme on sait que ça arrive trop souvent.L'écrivain mexicain Emilio Carballido a écrit là une pièce très belle, qui touche aux fibres les plus profondes du corps de la société, et il n'est pas surprenant que Xavier Pommeret, l'un de nos auteurs dramatiques les plus responsables, ait traduit cette pièce avec force et l'ait fait réaliser par ses camarades de la Comédie de Saint-Etienne. Il y a aujourd'hui pour le théâtre, si le théâtre veut prendre sur soi, veut " traiter " telle ou telle maladie sociale, deux manières. La manière forte, telle qu'elle est pratiquée au théâtre Mouffetard dans le formidable spectacle. J’ai confiance en la justice de mon pays. Et il y a la manière douce, celle de Carballido. Ces deux manières font appel aux surprises, aux chansons, aux rayons et aux ombres, et au rire, comme si le théâtre ne pouvait débloquer les situations fausses et les mauvaises pensées qu'en mettant en jeu cette part d'enfance et d'abandon qui nous permettait de saisir avec simplicité tant de mystères, au besoin affreux, lorsque la grand-mère, déjà endormie elle-même, serrant son châle sur ses épaules, nous parlait de la rose. Car c'est cela qui manque aux juges et même aux psychologues, et souvent aux journaux. Et quand les juges, au tribunal, parleront de la rose, il ne faudra pas rire : ce sera le début de la justice sérieuse. »  Michel Cournot, Le Monde, 1er décembre 1973.