Mort d’Oluwemi d’Ajumako

Année de publication: 1973

 

CONDÉ  Maryse              Mort d’Oluwemi d’Ajumako, collection "Théâtre africain", n°25, P.J. Oswald, 1973. -58p.

Pièce manquante dans le fonds de la BAG. Deux exemplaires à la BNF : 16-YF-722 (25) à Tolbiac et 16-Y- 2602 à Richelieu. Un exemplaire à la Théâtrothèque Gaston-Baty (Paris).

Ci-dessous l'intégralité du compte-rendu du livre fait par Renée Saurel dans Les Temps Modernes, n°339, octobre 1974.

"Maryse Condé, est née à La Guadeloupe. Elle a enseigné dans divers pays africains - notamment en Guinée et au Ghana - a été journaliste à la B.B.C. Elle vit maintenant à Paris. Sa première pièce : « Le Morne de Massabielle » a été jouée il y a quatre ans à Puteaux. Drame en quatre actes, « La Mort d'Oluwemi d'Ajumako » est une sorte de huis-clos qui symbolise la tragédie de tout un continent. Nous disons « tragédie », non par goût de l'hyperbole, mais parce que le terme est celui qui convient : l'immense continent
africain est à l'heure la plus cruciale de son existence. Comme l'indique le titre, Oluwemi, roi d'Ajumako, est le personnage central : roi d'un très ancien royaume traditionnel devenu province d'un état africain francophone. Oluwemi est polygame et Ange, l'un de ses fils, est celui qu'Oluwemi a choisi pour jouer le jeu des Blancs. Son éducation l'y a préparé, et le peuple, qui ne s'y trompe pas, l'a surnommé «Sekaseme» c'est-à-dire, précise Maryse Condé qui n'a pas peur des mots, « celui qui n'a pas de couilles ». Le troisième personnage important se nomme Simi. Il est l'Étranger, celui qui vient on ne sait d'où, en réalité soldat-déserteur dont le désespoir, la violence, la cruauté sont, dit l'auteur, seuls gages de l'avenir. Un beau personnage féminin, celui de Séfira, très jeune concubine du roi, éprise d'Ange. Née au plus bas de la hiérarchie sociale, elle se verra souvent jeter à la face son infamante extraction.

Un homme geint doucement, allongé dans une cabane aux murs de terre. C'est le roi Oluwemi, en fuite. Il a peur, il vient de se voir en rêve cadavre encore tiède. Il a fui, emportant les joyaux de la couronne qu'il espère vendre à Loanga. Son fils Ange, le châtré, entre et raconte qu'à Ajumako l'on a découvert la fuite du roi. Tout d'abord, les grands-prêtres ont cru qu'Oluwemi avait accompli le suicide rituel auquel est astreint tout roi, bon ou mauvais, après vingt ans de règne. La mort a été constatée, le sang recueilli dans les vases sacrés et le visage du fils aîné, Waly, oint de ce sang. Puis le pays a pris le deuil et la dépouille a été portée dans le bois sacré. Mais la pensée des joyaux enterrés avec le roi a suscité la cupidité des hommes. Ils l'ont déterré, lui ont ôté son masque funéraire d'or et c'est le visage de l'esclave Sembi qui leur est apparu... Sembi, l'esclave naïf qui a offert sa vie au roi. Le peuple s'est alors révolté et le fils aîné d'Oluwemi a appelé à l'aide les forces gouvernementales. On a tiré, tué, ce qui n'a pas empêché le peuple de déballer ses griefs : ni écoles, ni hôpitaux, les filles nubiles déflorées par le bouc royal. On n'apaisera la colère du peuple qu'en ramenant le roi tricheur pour le faire juger. Le nouveau roi, Waly, fait dire par son frère Ange qu'il aimerait mieux voir son père fuir le plus loin possible, passer le fleuve pour se réfugier chez les cousins Watu. La chasse, d'ailleurs, s'organise déjà, la tête du roi est mise à prix cinq cents dollars américains. Dans la cabane, on doit choisir entre la redition et la fuite. Issue de la classe des «ventres creux», Sefira, la jeune concubine, est d'avis qu'au terme de vingt ans de règne, de richesse, de bonne chère, de plaisir, le roi peut assumer le suicide rituel. Ange, lui, voudrait sauver la vie de son père. Quand à l'Étranger, soldat déserteur naguère engagé dans l'armée «régulière» pour cent cinquante dollars américains, il raconte sa guerre, les villages incendiés, les blessés achevés, les Noirs massacrés par d’autres Noirs... D'abord méfiant, Oluwemi accepte de l'héberger dans la cabane et le dialogue se poursuit entre les deux hommes, le roi expliquant qu'un ministre «bâtard» lui a proposé le marché : sa vie contre la cession des terres royales d'Ajumako, le soldat-déserteur ironisant sur les dirigeants qui prêchent l'austérité tout en se faisant construire de somptueuses villas à piscine. Il ajoute que, logiquement, il devrait haïr Oluwemi, et dit : « Avant les Blancs, ce sont les tiens qui ont écrit l'histoire de notre pays, une sanglante histoire de viol, à la lueur des incendies... Pourquoi est-ce que je ne te hais pas ? Parce que malgré tout tu es la grandeur que nous étions, la preuve par neuf que nous n'avons pas toujours été ce tas de merde au grand soleil...Toi disparu, il ne restera plus rien. » Placé pour la première fois devant un homme qui n'a pas peur et dit la vérité, le roi doit reconnaître que, de la très cruelle et très vénérée reine Asaré qui usait de beaux garçons et les châtrait ensuite sous les yeux de son mari impotent, jusqu'à lui-même, satrape à l'heure de l'atome, l'histoire de la dynastie Buru s'est inscrite dans le sang, l'horreur, les razzias de femmes, le trafic d'esclaves. Lancé dans une grande diatribe, l'Étranger dit encore : "C'est toi, c'est vous qui avez donné à ce peuple de boys, larbins, prostituées, singes, nos fils et nos filles vendant leur cul pour des jouets, transistors, pantalons patte d'éléphant, lunettes de soleil... Continuité d'exploitation, de trahisons, d'emprisonnements hâtifs, de tortures, de morts stériles, avec la misère, ah, la misère ponctuelle au rendez-vous. » Le roi, alors, comprend qu'il doit mourir. Repoussant Ange, son fils « pourri », il s'appuie sur l'Étranger, sur l'avenir, sur la révolution, il fait place nette. Il mourra dans la rivière et le soldat-déserteur rejoindra le nord du pays, où les guérilleros se battent contre le Portugal. Pièce lucide et forte, cri de colère. Les femmes crient plus fort : c'est un droit qu'elles ont payé d'avance et fort cher."