Le grand tintouin

Année de publication: 1975

 

SCANT Renata - Fernand Garnier      Le grand tintouin : une création Théâtre Action Grenoble, collection "Théâtre en France", P. J. Oswald, décembre 1973. -105p.

Illustration de couverture d’après l’affiche du spectacle créé à Grenoble le 15 décembre 1973, au Centre social Chorier-Berriat, Grenoble, avec Brigitte Audouard, Michel Beaujard, Luce Bekistan, Jean-Marc Beylier, Patrick Deschamps, Claude Laniesse, Renata Scant.

Vingt-cinq personnages. Claude Magni, 16 ans, élève dans un CES, prépare son BEPC. Né dans une famille de neuf enfants dont le père est tourneur, il est menacé d’exclusion pour avoir levé la main sur un professeur de mathématiques qu’il aurait insulté. Il est défendu par Pierre Alban, son professeur de français, contre qui circule une pétition de certains parents d'élèves qui, scandalisés par sa pédagogie inspirée de Montessori, Freinet (travail en groupe, pas de notation, pratique du théâtre et de l’improvisation…) l’accusent de faire de la politique. Après la séquence 9, où apparaît Claire, institutrice « fatiguée », révoltée par le décalage de sa mission et le sort des enfants défavorisés orientés en classes de transition, qui est placée en cure de sommeil puis dans un hôpital psychiatrique, la pièce devient un procès, celui de Pierre Alban et de sa pédagogie non-autoritaire. L’enseignant sera exclus de l’Éducation nationale pendant dix ans. Malgré la séquestration du directeur du CES, malgré la grève des élèves, il ne sera pas réintégré. Échec du mouvement de révolte générale de la jeunesse. Image finale : après une belle et vaine manif, Claude essuie ses larmes dans la banderole.                                                                                              Citations:

« Ce qui compte désormais, ce n’est pas d’apprendre par cœur, mais d’apprendre à apprendre. »        

« Faire participer les jeunes à la vie des collèges pour en faire des centres culturels vivants. »

Ci-dessous le compte-rendu de Jonny Epstein, paru dans le n°15 (avril-juin 1974) de la revue Travail théâtral qui propose un important dossier "Jeu, théâtre, enfants". « Au cours du travail d’action culturelle mené à Grenoble et dans son agglomération, Théâtre-Action a souvent été confronté aux problèmes de l’éducation. C’est ainsi qu’il a réalisé, en mars 1972, La Course d’obstacles, sketch d’intervention dénonçant le mécanisme de la sélection à l’école et son caractère de ségrégation sociale. La richesse des débats que cette pièce a provoqués, le caractère passionnel des témoignages et l’importance des problèmes soulevés ont conduit la compagnie à monter un spectacle qui rendrait compte dramatiquement des différents aspects de l’école et de la façon dont les lycéens et enseignants la vivent. Ainsi est né Le Grand Tintouin, crée le 15 décembre 1973, à  Grenoble. La pièce se déroule à plusieurs niveaux : les sphères dirigeantes, les administrateurs d’établissement, les enseignants, les parents d’élèves, les jeunes. Un prof de français pas comme les autres secoue le vieux cocotier de l’Alma Mater (cette Mère Université, ravagée par les les siècles et la gangrène, qui pressent l’imminence de sa disparition). Cet enseignant, Pierre Alban, mène un combat exemplaire, un combat comme Hurst en avait mené un il y a deux ans : un prof qui laissait choisir à ses élèves leurs thèmes de travail, qui osait organiser des débats ; un prof qui refusait que ce soit toujours les mêmes qui soient éliminés, éjectés, écrasés, envoyés à la production ; un prof qui refusait la sélection ; un prof qui aimait la vie. Claude Magni, 16 ans, est un de ses élèves ; fils d’ouvrier, il a très vite compris que l’école perpétue et accentue l’ordre social dans lequel nous vivons. Ayant Pierre Alban comme enseignant, il sent que quelque chose autour de nous se construit et s’élabore. Un monde nouveau est en gestation. Alors, un jour, il ose contester un vieux prof réactionnaire, et c’est le drame. Le directeur du C.E.S., qui considère que l’enseignement de Pierre Alban est pernicieux, se saisit de l’occasion pour le faire inspecter." L’inspecteur est arrivé à 10h10. J’étais en 3° C, je l’ai accueilli, je ne savais pas trop ce que j’allais dire. Il est entré dans la classe. On était en train d’enregistrer un débat au magnéto, les élèves m’ont eu de vitesse. Ils lui ont proposé de l’interviewer sur son métier. J’ai même pas entendu ce qu’il a répondu. Il est ressorti aussitôt. »  Après cette incartade, Pierre Alban sera renvoyé. Mais les lycéens se mettront en grève par solidarité, séquestreront le directeur du C.E.S., par dizaine de milliers descendront dans la rue, et c’est mars 1973, le grand tintouin : «Cinq ans déjà, nous revoilà ! Lycéens, apprentis, étudiants, travailleurs, même combat ! Ouvrez les yeux, fermez la télé !» Les C.R.S. auront beau reprendre le lycée à la veille des vacances de Pâques, Claude Magni sera certes un peu découragé : « Ça va recommencer comme avant : les notes, le programme au pas cadencé, la compétition ! Ça n’a servi à rien.  Sa mère cependant tirera les conclusions de la lutte (mère admirable qui n’est pas sans rappeler La Mère de Gorki-Brecht) : «Ils peuvent tout reprendre, c’est vrai. Mais ce que vous avez appris pendant ces deux semaines, ils ne peuvent pas vous l’enlever. Nous autres travailleurs, on sait bien ça. On n’obtient rien facilement. On ne nous fait pas de cadeau. Chaque fois qu’on demande pour vivre un peu mieux, il faut se battre. Mais un pas de gagné, c’est un pas de gagné.» Depuis L’heure du cochon et La Course d’obstacles, l’équipe de Théâtre-Action a gagné en cohésion et en efficacité. Les scènes de la réalité quotidienne (intérieur d’ouvrier, salle des profs, bureau d’un directeur de lycée) sont parfaitement rendues. Le langage des jeunes, des enseignants, du directeur sonne toujours juste et montre un parfait travail d’enquête, un souci constant de vérité. À voir l’autre soir l’enthousiasme des jeunes lycéens et de certains de leurs professeurs qui avaient vécu le «ras-le-bol» de mars 1973, à entendre les réflexions et le ricanement de certaines personnes gênées, disant que c’est de l’agitation, que théâtralement ce n’est pas abouti, on sentait que Théâtre-Action avait frappé juste et fort. Avec Le Grand Tintouin, la troupe renoue avec la tradition de l’agit’prop : un théâtre de combat quotidien en prise directe avec la réalité et qui en modifie le cours, un théâtre révolutionnaire qui veut transformer le monde.»

Sur l'Éducation nationale après 1968, voir aussi Lycée Thiers, maternelle Jules Ferry de Xavier Pommeret,  P.J. Oswald, mai 1973.