Eïa! Man-maille là !

Année de publication: 1968

 

MACOUBA Auguste        Eïa! Man-maille là !, collection "Théâtre africain", n°6, précédé d'un à-propos de René Depestre,  P.J. Oswald, septembre 1968. -117p.

Contrairement à celles des cinq précédents livres de la collection "Théâtre africain", la quatrième de couverture de Eïa ! Man-maille là ! ne comporte pas de photo ou d’indications biographiques sur l’identité de l’auteur, qui a choisi de se protéger derrière un pseudonyme. L’action de la pièce se déroule en Martinique, à Fort-de-France, les 20-21-22 décembre 1959 : suite à un accident de la route, l’altercation entre un métropolitain blanc et un Martiniquais noir change de nature avec l’arrivée et l’intervention musclée des C.R.S. En réplique aux tirs de gaz lacrymogène, roches et lambis sont lancés sur les forces de l'ordre puis commerces des békés, commissariats sont attaqués, tandis que montent les slogans "Viva Cuba ! (où Fidel Castro et Che Guevara sont arrivés au pouvoir le 1er janvier 1959) Algérie libre ! Les Antilles antillaises ! " La pièce est dédiée à Marajo, Rosile, Betzi, trois jeunes tués par les forces de l’ordre; celles-ci tirèrent à balles réelles sur la population. Écrite plusieurs années auparavant, publiée seulement en septembre 1968, la pièce résonne  étrangement avec ce qui s’est passé à Paris trois mois plus tôt. On y retrouve le même décalage entre une jeunesse impatiente et des générations précédentes attentistes comme dans la scène où l'insurgé Maurice est incompris de son père et de sa mère ou  comme dans celle d’une réunion interne du parti communiste martiniquais où celui-ci, tout en dénonçant  dans un communiqué "le racisme colonialiste", "la misère matérielle et morale des travailleurs martiniquais", considère que "la situation n’est pas mûre"  et décide d'appeler au calme pour ne pas plonger le pays dans l’aventurisme. Le texte est précédé d’un à-propos envoyé de Cuba par le grand poète haïtien, René Depestre, auteur de  Arc-en-ciel pour l’Occident chrétien, publié par Présence africaine l'année précédente et qui sera porté sur la scène du Théâtre de la Cité universitaire par Jean-Marie Serreau en novembre 1968.

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Ci-dessous, juste avant la sortie du livre de Auguste Macouba Eïa! Man-maille là !,  un article non signé paru dans Le Monde du 31 août 1968, sous le titre Honfleur : J.-P. Oswald combattre avec les opprimés.                                     «  J.-P. Oswald ne publie que des poètes. Et, dans leur très grosse majorité, exprimant la révolte des pays opprimés. Il est l'éditeur poétique du " tiers monde ". Cette vocation est constante, depuis son installation, en 1951, dans le vingtième, près du métro Couronnes. En vérité, il s'agissait alors d'éditions en chambre. J.-P. Oswald, qui avait vingt ans et des ambitions d'écrivain, commença par acheter une presse à bras pour imprimer les autres. Solution sage, mais dangereuse, car elle l'amena à renoncer définitivement à écrire pour se consacrer à son métier d'éditeur.

En 1956, il émigre rue Charles V, dans le quatrième arrondissement. Mais sa ligne poétique ne dévie pas : combattive, fortement engagée dans le politique et le social. C'est l'époque où il publie Antilles à mains armées, de Charles Calixte, et, en particulier, des poètes algériens : Henri Kréa, Djafer, (découvert par Francis Jeanson et Sartre) : la Complainte des mendiants arabes de la Casbah. En 1961, prolongeant l'esprit par l'acte, il opte pour la Tunisie où il restera trois ans, tentant d'y mener de front l'édition de ce qui se pense avec la participation à ce qui se fait. Exercice périlleux. En tous pays. En tous temps. 

En 1964, il revient en France (sans un sol en poche) et s'installe à Honfleur, pays de la lumière et des peintres. Il habite rue des Capucins (face au presbytère) où il abrite son matériel pour tirage et brochage. La typographie est donnée à façon. Et que voulez-vous qu'il fît ? Il publie. Des poètes. Et des poètes engagés dans le poétique, le politique, le social. Les titres de ses collections sont parlants par eux-mêmes : " L'aube dissout les monstres ", " J'exige la parole ",  "Théâtre africain ". Les auteurs publiés, par leurs origines, ne le sont pas moins : Tchicaya U Tam'si (Congo), Nordine Tidafi et Anna Greki (Algérie), Ridha Zili (Maghreb), Pierre Bambotte (Centre-Afrique), César Vallejo (Pérou), Mario de Andrade (Angola), Ola Balogun (Nigéria), Gérard Chenet (Haïti). Ces mêmes noms - avec d'autres - se retrouvent dans une nouvelle collection de " Poètes contemporains en poche " d'un prix uniforme de 5 francs, ou encore au sommaire de la revue trimestrielle Action poétique qu'il anime avec Henry Deluy et qui se prolonge dans une collection au même titre. Là, Max Jacob voisine avec quatre poètes de la R.D.A., César Pavèse avec la poésie moderne japonaise, Crevel avec des Hongrois, Pierre Morahange, Gabriel Cousin, Della Faille ou Bernard Vergaftig avec des poètes chinois contemporains, Jacques Roubaud avec Lautréamont. Une dernière collection, également dirigée par Henri Deluy, est consacrée à la poésie des pays socialistes : R.D.A., Tchécoslovaquie, U.R.S.S., Chine populaire (en décembre prochain), Yougoslavie (en octobre).

Dès septembre, les éditions J.-P. Oswald publieront une pièce d'un auteur martiniquais : Auguste Macouba, Eïa Man-maille là qu'on peut approximativement traduire par Il y a du b..., ici et qui relate la révolte étudiante de septembre 1959 à la Martinique. La similitude avec les " événements " de mai, y compris l'attitude des syndicats, est, paraît-t-il, frappante. " Les poètes, déclare J.-P. Oswald, annonçant plutôt qu'il n'accompagnent les révolutions, ceux que j'ai publiés, qui me semblent contenir en germe, mai 1968, sont, pour les Français Oliven Sten, avec l'Enterreur, publié en format de poche, et pour les étrangers, Vélimir Khlebnikov avec un Choix de poèmes paru fin 1967 ".

Les tirages, pour des ouvrages de poésie, sont relativement importants : 5 000 pour la collection de poche, 1 000 pour le théâtre africain, 2 000 pour les autres collections et la revue. La diffusion, pour la région parisienne, est assurée par Maspéro. Pour la province, par J.-P. Oswald lui-même qui dispose d'une correspondance de 100 à 120 libraires. La poésie, contrairement à sa légende, finirait-elle par nourrir son homme ? Ou tout au moins son éditeur ? " À condition de ne faire qu'un repas par jour, confie J.-P. Oswald. Pour le second, j'assure, par mon atelier de tirage et de brochage, divers travaux de publicité locale. Et de toute façon, ici, à Honfleur, on peut se nourrir aisément de poissons et de coquillages " ».