Zone rouge

Année de publication: 1969

 

BENEDETTO André    Zone rouge, feux interdits, pièce en cinq parties suivie d'un entretien avec l'auteur réalisé en novembre 1968, collection « Théâtre en France »,  P.J. Oswald,  février 1969. -124p.

Argument
Nous allons vous raconter l’histoire
D’un rebelle de bas quartier
D’un blouson noir tué avec sa bande
À l’orée de la ville une nuit de juillet
Ou un matin d’octobre
Tout ça se passe dans une cervelle éclatée
Dans ce qu’il reste de mémoire
Dans un mélange d’os de goudronné de sang
Rouge qui coagule
Et de cheveux mouillés
Il y a dans tout blouson noir
De la graine de Guevara une structure
C’est une tentative de captation psychique
Des cendres d’un rebelle
Pour cerner la question

Création le 15 juillet 1968 par la Nouvelle Compagnie d'Avignon, mise en scène d'André Benedetto, avec André Benedetto (Alph, chef de bande), Yvette Ollier (Elle, la Hurleuse), Michel Hébrard (Un garçon dit Castro), Khaterine Delon (Drainette-Grenouille), Jean-Marie Lamblard (Eluah le noir).

Ci-dessous un article de Bertrand Poirot-Delpech, paru dans Le Monde du 8 mars 1969.  «  Parmi les nombreux spectacles d'agitation politique apparus depuis l'été, voici sans doute le plus explosif à tous égards, parce que le moins lié aux seules révoltes étudiantes. Imaginée avant le mois de mai, la prise de conscience révolutionnaire de Zone rouge n'est pas limitée à une élite culturelle. Les cinq " blousons noirs " réunis en scène n'ont même pas à leur disposition le bagage dialectique que la vie du travail et ses conflits avaient assuré à l’éboueur Auguste G., de Gatti. Leur refus de la société est viscéral, irréductible au langage le plus fruste. Ils savent seulement qu'ils veulent " tout casser ", " haïr ", " se battre ", " foutre le feu" . À travers les rites qui la révèlent à elle-même comme autant de psychodrames, cette violence isolée et sans issue se découvre dans le " tiers monde " des modèles et des raisons d'espérer. Autant l'assimilation des universités au Vietnam, à Harlem ou à la Bolivie exige réflexion et imagination, autant celle des "zones rouges" va de soi. On s'y sent " nègre " aussi facilement qu'on s'y fait traiter de " pègre ". Il suffit d'un rien, d'une perplexité vague, d'un jeu - de ce spectacle peut-être, - pour que le révolté sans but des faubourgs occidentaux se reconnaisse dans tous les guérilleros et dans leur prophète. Aussi, est-ce sur un culte presque serein à Guevara, avec répons et litanies, que s'achève la soirée commencée dans les convulsions vaudoues, comme si la perspective de sacrifice utile, tel le Message chrétien, adoucissait la mort. Au lieu d'exprimer la pauvreté et la subversion en dévoyant le lyrisme des riches, comme Genet, André Benedetto s'en tient à une formulation réaliste, à l'économie du cri, du slogan, et parfois à des textes authentiques de " blousons noirs ". De même, le style de jeu qu'il imprime à sa compagnie des Carmes d'Avignon refuse les sophistications à la mode. Ni baroque tel qu'en inspire souvent Arrabal, ni exhibitions dans le style du Living Theatre : quitte à faire un peu amateur et à ne pas toujours être entendus, les comédiens réunis sur le plateau en forme de ring enchaînent leurs jeux de terrains vagues et leurs rêves farouches comme pour eux-mêmes et sans se soucier de la salle. Celle-ci n'en est pas moins ramenée à l'essentiel de ce qui se dévoile en scène et devrait l'obséder : comment donner un sens à sa vie, à sa force, à sa mort. »

Ci-dessous la critique de Gilles Sandier, reprise dans Théâtre et combat, regards sur le théâtre actuel (Stock, juillet 1970).
"Depuis Mai, redisons-le, c’est, pour quelques uns, une évidence, et, pour beaucoup, une idée acceptable, que nous ne pouvons plus donner à des expressions comme «culture populaire» ou «théâtre populaire» un autre sens que celui qui est lié à une révolution culturelle totale. Cette révolution, qui seule peut rendre un spectacle acceptable à ceux qui croient encore que le théâtre peut être un langage contemporain - car les autres spectacles leur deviennent progressivement insupportables, insignifiants  -  cette révolution a pour signe essentiel, au théâtre, la rupture avec l’ancien cadre clos de la représentation. Et même le cadre de type brechtien. Le conflit n’est plus, en effet, entre la «participation» de type bourgeois, et la «distanciation» didactique et critique, mais entre la représentation dans son ensemble, entre le concept de «représentation», et une fonction nouvelle du théâtre, fonction d’appel et de communication. Cette fonction nouvelle du théâtre, deux jeunes compagnies, au printemps 1969, nous ont paru l’inaugurer. Le matin rouge de J.-P. Bisson (joué au théâtre de Plaisance devant des fauteuils vides) et Zone rouge, d’André Benedetto  créée par la Nouvelle compagnie d’Avignon), nous proposent en effet une double image exemplaire d’un théâtre nouveau, d’un théâtre « rouge», authentiquement révolutionnaire, tant par son contenu subversif, que par sa structure, qui rompt avec la structure traditionnelle de la représentation théâtrale; plus de pièce, mais des images scéniques enchaînées comme les mots d’un poème, plus de personnages, mais cinq ou six acteurs, qui sont simultanément et successivement tous le personnages que le poème les fait être, et plus de spectateurs puisque nous redevenons, dans ces messes nouvelles, des fidèles. (…) La Nouvelle Compagnie d’Avignon, d’André Benedetto, qui a joué Napalm, Xerxès, Lola Pelican, est la première en France, bien avant Mai, depuis 1963, à se vouloir au service d’un théâtre armé, révolutionnaire, de subversion, un théâtre de guérilla. En cela cette Compagnie est exemplaire. Sans compter que Benedetto, nourri  visiblement  de Beckett et de Brecht et du surréalisme, est peut-être réellement le poète-dramaturge que Gatti est aux yeux de certains, et que je n’ai jamais trouvé en lui. La Zone rouge, c’est la zone de la colère et de la faim, des banlieues, des ghettos et des bidonvilles, des usines et des camps de ce nouvel Tiers-État, le Tiers-Monde, des humiliés, des offensés, nègres de toute espèce. Autour d’une poupée de son en forme de «barbudo» (hymne à Che Guevara), ce « psychodrame » pour cinq blousons noirs (trois garçons et deux filles) s’organise sous la forme d’un grand poème polyphonique, complexe et savant dans son lyrisme, son ironie, et son appel messianique pour un monde arraché à  ses chaînes : « La morale c’est : cassez tout.»  Cette grande ode aux misérables, cette cantate à plusieurs voix, qui unit Marx et Jésus, Guevara et Mao, est par moments (notamment dans le final), d’une splendeur verbale et d’une efficacité scénique également remarquables. Mais ce cri lyrique poussé contre «la pourriture occidentale» est encore tout nourri de cette culture - de Pindare à Claudel et d’Eschyle à Brecht. Beaucoup plus politique que Matin rouge, beaucoup plus intellectuelle aussi, d’une sincérité sans doute aussi ardente, la pièce est sans doute moins directement accessible à un public étranger au langage «culturel» et théâtral. Dans la perfection même de son organisation scénique, ce poème de la révolution rompt peut-être moins totalement que Matin rouge avec l’habituelle clôture-sur-soi de l’acte théâtral. De toute façon, voilà deux spectacles qui, refusant les normes habituelles de la représentation, ne sont pas faits pour être joués dans ces lieux un peu anachroniques qu’on appelle des théâtres. Ils sont fait pour sortir de l’espace clos, pour aller au devant des hommes et de consciences, pour être joués ailleurs, en tout cas, que devant les fauteuils payants de la France assise."