Scédase ou l’Hospitalité violée

Année de publication: 1976

 

HARDY Alexandre      Scédase ou l’Hospitalité violée, fac-similé de l'édition de 1628 et l'anastylose de Xavier Pommeret, en quatrième de couverture texte de Jacques Scherer, collection "Théâtre en France", P. J. Oswald, avril 1976.-189p.

L'argument de cette tragédie en cinq actes et en vers est emprunté  à Plutarque : en l'absence de Scédase, deux jeunes spartiates à qui il avait donné l'hospitalité violent ses deux filles, les égorgent et les jettent dans un puits. Ayant retrouvé les coupables,  Scédase demande justice. Ne pouvant l'obtenir, il se suicide sur le tombeau de ses filles.

"Scédase est la première tragédie française dont le héros soit un paysan, victime de sa condition mais restant héros tragique par la seule grandeur de son âme" écrit Pommeret, dans la préface où il réhabilite le théâtre de Hardy et en montre la modernité. Cela explique peut-être pourquoi P.J. Oswald accepte d'éditer un dramaturge qui ne soit pas vivant. Ce qu'il avait déjà fait, en octobre 1975 avec Les Âmes mortes de Boulgakov, et en janvier 1976, avec Cabaret satirique de Karl Valentin.

Le texte de Hardy avait été republié un an plus tôt avec d'autres pièces dans Théâtre du XVIIème, édition de Jacques Scherer parue dans La Pléiade. Chez Oswald, le fac-similé du texte de Hardy est suivi de l'anastylose de Pommeret - en architecture, terme désignant la reconstruction d'un monument ruiné à partir des pierres gisant sur place : "cela signifie que je n'ai pas traduit Scédase du français renaissant en français moderne, cela signifie que je n'ai pas adopté Hardy, cela signifie que j'ai voulu rendre immédiatement perceptible le texte de Hardy."

C'est la version de Pommeret qui est créée par le Centre dramatique national de Nanterre, du 2 au 25 avril 1976, au Théâtre Paris-Nord (16, rue Georgette Agutte, Paris 75018), dans une mise en scène de Gervais Robin et de Daniel Mesguich, décors de Gérard Poli, costumes de Madeleine Louys, avec Claude Aufaure (Charilas), Catherine Berriane (Archidame), Hélène Calzarelli (Théane), Marianne Épin(Evexipe), Jean-Louis Grinfeld (Scédase), Jean-Bernard Guillard (Eribiade), Murray Grönwall (Iphicrate), Serge Valletti (Agésilas), Gilbert Vilhon (Évandre). Le programme du Théâtre Paris-Nord  reprend le texte de Jacques Scherer reproduit au recto du livre.

Dans Le Monde du 16 avril 1976, sous le titre Le Théâtre de Hardy et le code Mesguich, Michel Cournot en fait cette critique. «  Jacques Scherer a publié en 1975 dans un volume de la Bibliothèque de la Pléiade appelé Théâtre du dix-huitième siècle, tome I -, trois pièces d'Alexandre Hardy, né à Paris vers 1572, mort de la peste vers 1632 après avoir écrit plus de six cents pièces. Parmi ces trois pièces, on trouve, Scédase, que met aujourd'hui en scène Daniel Mesguich. Hardy était comédien. Il a joué d'abord en province, sans doute dans le nord, avec les acteurs d'Adrien Talmy, puis ceux de Valleran Le Conte, qui s'installa pour quelque temps en 1599, à Paris, à l'Hôtel de Bourgogne. La fécondité d'Alexandre Hardy est incroyable. Il prenait ses sujets dans des traductions françaises de Plutarque, d'auteurs grecs, latins, italiens, espagnols. Puis, en quinze jours à trois semaines, après avoir établi un découpage net de l'action, il mettait cela en vers rudes, rauques, ingrats, truffés d'allusions à la mythologie, qu'il aimait beaucoup. Il semble que les pièces de Hardy jouées par les troupes dont il faisait partie rencontraient peu de succès. Ce n'était pas la mer à boire ; il y a dans les œuvres de Hardy un peu de ce que nous appelons aujourd'hui " le devoir de recherche " ; la " grande poésie " en est absente, mais on y trouve des audaces de toute sorte, par exemple sociales ou sexuelles. Corneille n'est pas tendre pour Hardy. Il dit que sa " veine était plus féconde que polie ". Mais à deux reprises, dans le Discours de la tragédie et dans la préface à Don Sanche d'Aragon, Corneille laisse nettement apparaître une envie, une nostalgie, du courage de Hardy, qui n'hésite pas, avec Scédase justement, à prendre pour personnages d'une vraie  tragédie des femmes et des hommes du peuple, et non pas seulement des rois, qui n'hésite pas non plus à placer sur scène, au centre de l'action, deux viols. Scédase est l'histoire d'une famille de paysans habitant le village de Leuctres, qui dépend politiquement de Thèbes (la source de cette histoire est essentiellement Plutarque). Scédase, qui habite une ferme assez pauvre avec ses deux filles, est un ami de Sparte. Or, en son absence, deux voyageurs venus de Sparte, deux bourgeois dirions-nous, violent les deux jeunes filles, puis les tuent et les jettent dans un puits, Scédase ira demander justice à Sparte, mais on lui objectera l'absence de témoins immédiats. Désespéré, Scédase se tue. Nous ne sommes pas d'accord avec Jacques Scherer lorsqu'il dit, dans son introduction à Scédase dans le volume de la Pléiade, qu'Alexandre Hardy " néglige le contenu politique " du court récit de Plutarque. Les actes IV et V de la tragédie montrent, au contraire, l'oppression à la fois de Thèbes par Sparte et des gens du peuple par les dirigeants et les magistrats. Cela est d'ailleurs annoncé dans l'acte I, par des scènes que Mesguich ne retient pas.La représentation de Scédase, aujourd'hui au Théâtre Paris-Nord, sans doute la première en France depuis sa création vers 1610, est en porte-à-faux. L'idée de la reprise est de Xavier Pommeret, qui anime maintenant le Théâtre de Nanterre et a produit ce spectacle. Comme les vers de Hardy sont difficiles, Pommeret les a récrits en partie. Était-ce utile, puisque à la première audition (et les spectateurs vont rarement voir deux fois une pièce), les propos des personnages, et même souvent leurs actes, restent, même récrits, bien peu saisissables ? Pourquoi alors forcer le sens, par exemple en faisant dire à Hardy : " ... Soleil gaspillant tes rayons Chez un peuple grossier paysan et souillon ". Quand le texte original porte :" ... Soleil qui profane tes rais Chez un peuple grossier habitant des forêts " ? Et lorsque l'une des filles de Scédase, qui vient de se faire violer et qui voit qu'elle va être poignardée, crie : " Inhumain, que fais-tu ? ", pourquoi Xavier Pommeret lui fait-il dire: " Ah ! Cruel assassin ", qui n'est pas mieux ? Il y a là pas mal de désinvolture, et inutile .N'est-ce pas aussi une demi-erreur, de la part de Xavier Pommeret, que d'avoir confié la réalisation de Scédase à un metteur en scène aussi " fort " que Daniel Mesguich ? La question peut sembler paradoxale. Mais Alexandre Hardy est l'une des figures du théâtre de ce pays, il n'est cependant jamais joué, il est pratiquement inconnu, et il eût été intéressant de faire la connaissance de cet auteur, de l'une de ses pièces, par l'entremise d'une mise en scène disons "fidèle" . Le travail de Mesguich et de ses compagnons de scène (Catherine Berriane, Marianne Epin, Jean-Louis Grinfeld, Serge Valletti, entre autres) est comme d'habitude passionnant, mais pour ne donner qu'un exemple, il est impossible à tout spectateur ne connaissant pas déjà la pièce de deviner que Scédase et ses filles sont des paysans pauvres. On a bien plutôt le sentiment, chez Mesguich, que Scédase est un grand bourgeois, ou un noble, et que ses deux filles sont des demi-mondaines hystériques. Élément par élément, la pièce de Hardy est ainsi prise à contre-sens. Mesguich estime avec raison que la mise en scène d'une pièce de théâtre n'a pas à répéter, à réitérer, ce qui est déjà exprimé par le texte. Ce principe convient à merveille à des textes déjà connus, de Marivaux ou de Racine, et la perception du public " fonctionne " alors sur deux portées - celle de la mémoire de la pièce, et de tout ce qu'elle draine, et celle du travail de Mesguich, dont les inventions ne prennent corps, malgré qu'il en ait, que par référence constante, dans la conscience du spectateur, au texte d'origine que Mesguich déconstruit, atomise, critique, retourne contre lui-même. Mais si le texte n'est connu déjà, le spectateur perçoit seulement une suite formelle d'effets brillants, nerveux, un tournoi de paroxysmes, un montage de chocs de lumière, d'une beauté plastique frappante, d'un comique sous-jacent, d'un style soutenu. Pour que tout ce carrousel d'émotions fortes trouve une assise, pour que le public soit admis à entrer dans le jeu de Mesguich, dans ses intentions, il faudrait commencer, le même soir, par " donner " la pièce-prétexte de Hardy, puis, après un entracte, nous verrions l'opération-Mesguich, pièce en mains. C'est un peu ce qu'a fait récemment Vitez à Ivry avec une farce peu jouée de Molière, La jalousie du barbouillé. Avec  sa mise en scène du Prince travesti, Daniel Mesguich apportait un air nouveau. Il dégageait une dynamique vivante et immédiate du va-et-vient des paroles. Il prenait l'imaginaire au pied de la lettre, communiquant ainsi du ressort à la représentation. Il ouvrait au texte de Marivaux plusieurs perspectives de manœuvre, où les éléments du dialogue s'égaillaient en liberté au-devant d'aventures qu'ils confrontaient ensuite. Plus la pièce battait la campagne, sous l'aiguillon de la jeunesse et d'une grande gaieté d'invention, plus l'action dramatique s'affirmait en des reliefs définis, si irrigués de vie qu'ils paraissaient spontanés. Avec Scédase, le théâtre vit beaucoup moins. On dirait que Mesguich, au lieu d'aller de l'avant et de découvrir des chemins où philosophes et critiques viendraient plus tard quérir des objets de réflexion, on dirait que Mesguich se met à la traîne, s'emploie à modeler des maquettes dramaturgiques tout juste propres à confirmer des théories existantes. Entre le théâtre et Mesguich, entre les acteurs et la pièce, entre Alexandre Hardy et nous, s'interposent une foule de bavards dont les propos laborieux sont métamorphosés par la baguette bien sûr magique de Daniel Mesguich en gestes, en éclairages, en mouvements, en cris. Comme un spectacle de seconde main, un gadget culturel. Il vaudrait mieux que Mesguich se libère de toutes ces grilles surcodées et que, avec générosité et présence d'esprit, sans béquilles, il se lance dans un texte, inconnu ou inédit pourquoi pas. Ainsi s'engagerait-il dans cette " mise en crise " dont il parle, avec les risques tentants que cette expérience implique, alors qu'il penche pour le moment vers l'illustration confortable des maîtres à penser en vogue.»