Qui rapportera ces paroles ?

Année de publication: 1974

 

DELBO Charlotte     Qui rapportera ces paroles ?, collection "Théâtre en France", P.J. Oswald, 1974.-77p.


L'édition originale de Qui rapportera ces paroles ?  parue chez P.J. Oswald, manque à la BAG. Le texte est disponible maintenant avec toutes les autres pièces de Delbo dans Qui rapportera ces paroles ? et autres écrits inédits, Fayard, 2013.

La pièce a été représentée pour la première fois au Cyrano-Théâtre le 14 mars 1974 dans une mise en scène de François Darbon, scénographie et costumes d'André Acquart, éclairages d'André Collet, avec Edith Scob, Madeleine Marion, Catherine Boeuf, Annie Bertin, Hélène Surgère, Anne Grandjean, Isabelle Riera, Sophie Arouet, Frédérique Méninger, Anne Berger, Dominique Poulanges, Francine Roussel, Janine Souchon, Évelyne Morvan, Monique Couturier, Monique Fabre, Fabienne Margarita,Dominique Mignon, Laurence Aubray, Hélène Otternaud, Dominique Blanchar, Geneviève Rives.

Radiodiffusion sur France-Culture, le 24 mai 1975, dans une réalisation d'Alain Barroux.

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Ci- dessous, article de Colette Godard publié dans Le Monde le 20 mars 1974.

Un troupeau de femmes en gris, des femmes sans visage Aujourd'hui, l'une d'elles se souvient de la seule question qui se posait dans les usines à mort, dans les camps de la mort : pourquoi s'obstiner à vivre ? Et elle se souvient de la réponse : pour raconter.
Elles étaient des milliers là-bas Sur scène, elles sont vingt-trois, serrées les unes contre les autres, qui parlent comme elles parleraient aujourd'hui si elles avaient survécu ; qui décrivent calmement comment elles prolongeaient leur existence de minute en minute, comment elles se raccrochaient à un passé devenu mythique ; qui dépeignent leur peur d'un avenir improbable. À la fin, elles sont deux, et racontent aux spectateurs d'aujourd'hui.

Charlotte Delbo, auteur de Qui rapportera ces paroles, sait que les paroles ne peuvent pas transmettre ce qu'elle a vécu. Ni les paroles ni l'artifice théâtral, rien. Et pourtant, elle veut parler. Elle ne peut pas ne pas parler. Il ne s'agit pas de donner une leçon, de dire : " Que cela ne recommence plus. " Elle sait que " l'histoire ne s'apaise pas ; les hommes ne l'ont pas encore maîtrisée ". Il ne s'agit pas non plus d'exorciser un souvenir : ce qu'elle a vécu et devenu bien autre chose. Sans doute a-t-elle renoncé à s'en libérer, si jamais elle en a eu l'espoir.

Sa pièce n'est pas un cri. Elle oscille entre la réflexion et le rappel des péripéties quotidiennes, entre deux temps, deux moments de récit. Tout est contenu dans les mots, et même le fait que les mots ne puissent rien faire connaître. Ils tirent leur force de cet aveu d'impuissance. Les mettre en scène pouvait paraître une entreprise impossible, François Darbon l'a tentée. Il y a un décor d'André Acquart, des éclairages d'André Collet, une musique d'Alain Kremski, il y a vingt-trois comédiennes qui disent un texte, il y a " théâtre " et, crevant tout cela, la vérité de Charlotte Delbo.