Phylactère s’en va-t-en guerre

Année de publication: 1973

 

ASCARIDE Gilles      Phylactère s’en va-t-en guerre, comédie-bande dessinée en douze épisodes, couverture de Jacques Brianti, série "Théâtre en France", P. J. Oswald, achevé d'imprimer en avril 1973 par Daniel Chenel imprimeur à Honfleur. -124p.

Le général Grouboche-Zapatanas envisage d'être candidat aux prochaines élections présidentielles. Souffrant d’un grave problème d’élocution, il fait appel pour l’assister dans sa campagne électorale à Phylactère, un dessinateur de bande dessinée dans la misère, ringardisé par la nouvelle BD. Il met à la disposition du général, comme agents électoraux, cinq de ses personnages : Mademoiselle Victoire et son éternel parapluie rouge (Bécassine), Cri-Cri, « chef de la patrouille des cancrelats mélomanes » (Tintin, sans son chien), les Pieds Nickelés.  À l'épineuse question «Comment recueillir le vote de gens aux intérêts contradictoires ?», Croquignol trouve rapidement la solution : «Y a qu’à tout promettre à tout le monde.» Mademoiselle Victoire se charge des femmes, Cri-Cri, des jeunes ; les Pieds Nickelés se partagent le reste du travail : Croquignol s'occupe des capitalistes, Ribouldingue et Filochard des ouvriers. Le début de campagne est excellent, les sondages d’opinion unanimes mettent le général en tête. De plus Toutamoi - l’un des deux autres candidats - étant subitement mort d’une indigestion de foie gras lors du banquet du trust « Affameurs et exploiteurs réunis », il ne lui reste plus  qu’un seul adversaire : Lacombine. Phylactère envisage de prendre des vacances quand il a la mauvaise idée d’envoyer ses personnages hors de France, dans «les colonies ». Le comportement raciste, paternaliste de l'équipe soulève la population et l'oblige à prendre la fuite en catastrophe. Suite au scandale, la cote du général retombe. Il décide alors de faire appel à un autre personnage de BD, Xanthana de Ksam, «la planète du sexe, splat ! la planète des irradiations galactiques ! chlaf ! la planète du pouvoir cosmique !  Ksam, planète des femmes, parthogénèse et autoreproduction.» En dépit des super pouvoirs de cette super femme,  - Cri-Cri et Mademoiselle Victoire étant hors jeu, inutiles car trop honnêtes - les plus efficaces se révèleront être, bien sûr, les très expérimentés Pieds Nickelés...

Dans sa préface, datée de juin 1972, l’auteur de la pièce, Gilles Ascaride, documente la chronologie de son texte. C’est une commande du Théâtre Populaire des Pyrénées que l’auteur a rejoint à l’été 1970 pour participer notamment à La journée d’une infirmière d’Armand Gatti, mise en scène de Pierre Chaussat, joué dans le Off d’Avignon. L’idée d‘un spectacle sur la bande dessinée est née dans sa tête en 1969. La montée en puissance du 9ème art est alors visible partout, s’entend aussi partout. Bardot fait des bulles sur Comic Strip de Gainsbourg. Le projet va mettre deux ans à se concrétiser. Après une période de concertation, élaboration, la pièce, prête à écrite, a besoin de diverses autorisations. " 21 octobre 1970, Hergé donnait son accord pour Tintin. Le 18 novembre, les éditions Gautier-Languereau donnaient leur accord pour Bécassine. Le 28 janvier 1971, le héritiers de Forton donnaient leur accord pour les Pieds Nickelés.(...) Et la pièce fut écrite. Au milieu des albums. » Achevé, le texte est soumis aux ayants droit. Le 20 janvier 1971, Hergé retire son autorisation, se « refusant à accepter le moindre risque d’une assimilation entre Phylactère et Hergé ». Idem le 23 novembre : refus des éditions Gautier-Languereau qui considèrent que  « la bêtise et l’incongruité des dialogues dépassent toute mesure. » Les héritiers de Forton confirment leur accord et demandent 25% des droits d’auteur. Le texte est adapté, réécrit. Pour contourner la censure, Tintin devient Cri-Cri,  Bécassine devient Mademoiselle Victoire. La pièce est programmée par le T.P.P. pour être créée à Pau, en mars 1972. L’équipe de huit comédiens est en place. Mais en février, la directrice décide de ne plus monter la pièce et licencie les sept comédiens permanents. Le T.P.P. ne créera pas Phylactère s’en va-t-en guerre. Les comédiens licenciés, soutenus par les abonnés du T.P.P. , se réorganisent  sous la forme d’une coopérative ouvrière, qui prend le nom de Théâtre de la Mangouste. 

Parallèlement, l’auteur a envoyé son texte à trois éditeurs. Outre Oswald qui publie André Benedetto, Jean-Pierre Bisson, Charlotte Delbo, il se souvient l'avoir envoyé à Luc de Goustine, directeur d'une collection théâtre au Seuil où sont publiés Armand Gatti, Peter Weiss, et à Stock qui vient de publier, dans sa collection Théâtre ouvert dirigée par Lucien Attoun, Capitaine Schelle, Capitaine Éçço de Serge Rezvani, Opération de Gérard Gélas, La peau d’un fruit sur un arbre pourri de Victor Haïm. Il reçoit une réponse de Pierre Jean Oswald. En voici la copie intégrale, cinquante ans après.


Honfleur, le 3 mai 1972
Cher Monsieur,
Je vous remercie de m’avoir envoyé votre pièce. Elle appartient sans aucun doute au théâtre que je peux et veux publier.  
En réalité, je crois guère au « théâtre ». Je crois à la poésie et à la dérision et je crois que l’une et l’autre passent parfois par le théâtre pour se faire entendre. C’est le cas, par exemple, chez Benedetto et Bisson. C’est le cas chez vous. Je crois aussi à la subversion mais je suis persuadé d’une chose : il ne suffit pas de parler de subversion pour être subversif et, cela, vous l’avez compris. Sinon votre théâtre, dans ses meilleurs moments, comme chez d’autres, aurait pris l’aspect d’un jeu, mais d’un jeu pas sérieux. Or, rien n’est plus sérieux que le jeu, il doit dévaster tout sur son passage sinon il n’est que de « société ».
Le théâtre qui m’intéresse n’est pas seulement fait pour passer une bonne soirée de théâtre. Il doit troubler. Voilà les quelques réflexions  que m’inspire votre pièce. J’ajouterai que vous disposez d’une technique assez sûre pour soutenir efficacement votre inspiration. D’où la réussite.
Il n’en reste pas moins - hélas! - que la publication du théâtre me pose des problèmes équivalents à ceux que pose la poésie. En effet, si les pièces jouées comme celles de Benedetto se vendent assez bien, les autres sont d’une vente assez lente.
Or, mes moyens sont limités et il y a dans ce domaine beaucoup de choses à faire : pour financer mes éditions, je suis aussi imprimeur, ce qui signifie que pour chaque livre que je sors, je dois effectuer tant de travaux alimentaires. Compte tenu du temps qu’il faudra mettre pour vendre une pièce telle que la vôtre, et du fait que je suis actuellement engagé par des contrats qui me bloquent jusqu’au milieu de 1973 au moins, si je veux sortir des titres en plus de ceux pour lesquels des contrats sont signés, je dois faire appel à l’aide matérielle de l’auteur de telle sorte que le livre en question ne soit pas une charge supplémentaire et ne rapporte pas dans l’immédiat,  moins à l’imprimerie (ou pas trop en moins) que n’importe quel autre travail alimentaire.
J'aurais donc besoin, pour publier votre pièce, de votre aide matérielle et vous joins un projet de contrat que nous pourrions signer.
Il est vrai que le fait qu’elle soit publiée peut puissamment aider à ce qu’elle soit jouée et, dans ce cas, vous récupéreriez plus vite votre avance.
J'espère m’être exprimé assez clairement et que vous ne serez pas trop déçu.
Croyez à l’expression de mes sentiments les plus cordiaux.
Pierre Jean Oswald

Dans le courrier suivant (23 mai), l’éditeur confirme que le livre paraîtra dans la collection Théâtre en France, que c’est François Maspero qui en assure la distribution, tente de rassurer l’auteur, pour qui la somme demandée correspond à trois mois de son salaire : «En réalité le risque est faible pour vous de perdre l’argent que vous auriez investi ». C'est un soutien financier fort de ses collègues comédiens qui va débloquer la situation et rendre possible la publication. Le 5 juin, Pierre Jean Oswald envoie un nouveau contrat en deux exemplaires ; le 22 juin, il remercie l'auteur et accuse réception du premier versement reçu. Le 19 janvier 1973, le livre n’est pas encore sorti ; dans un courrier manuscrit, il explique avoir pris du retard en raison du transfert de ses locaux d'Honfleur à Paris (7 rue de l’École-Polytechnique) - et assure que le livre sortira «courant février».
En fait, P. J. Oswald vient d’entamer une montée en puissance qui le conduira en 1975 à une sur-production. Entre décembre 1972 et fin mars 1973, il publie neuf pièces de théâtre, soit plus que de janvier à novembre : quatre pièces dans la collection Théâtre africain (Le fils de l’Almamy de Ndao, Kafra-Biatanga et Cannibalisme de N’Dumbé III, Néron de Mellah),  quatre dans la collection Théâtre en France (La Madone des ordures de Benedetto, Sarcelles-sur-Mer de Bisson, L’Appâtoir de Bastos / Grèzes-Rueff / Pujol, Le champ de Khaznadar), une dans une nouvelle collection Théâtre hors la France (Le Printemps des Bonnets Rouges de Paol KeIneg).
En fait, Phylactère sortira en avril, avec la mention du Théâtre de la Mangouste. C’est trop tard. Le collectif de réalisations théâtrales du pays de l’Adour qui a participé au financement du livre a éclaté, les comédiens se sont dispersés. Le 21 octobre 1972, la République des Pyrénées titrait : Avec la Mangouste, disparaît le dernier théâtre de la région. Comme le rappelle le journaliste, ils auront eu le temps en deux mois de monter Chantepierre et Gras Gras Gras de Pierre Gamarra, de donner "50 représentations touchant 16 500 enfants dont 3.000 sur Pau". L’auteur et ses amis ne récupéreront jamais l’argent avancé.

Finalement, Phylactère s’en va-t-en guerre sera créé dans le cadre du Festival de Bande dessinée d’Angoulême, le 25 janvier 1980, au Théâtre municipal d’Angoulême, par le Théâtre de l’Éphémère        avec Marie Augereau / Mademoiselle Victoire (Bécassine)
Jean-François Besnard / Régie lumière et son
Jacky Bosveuil / Ribouldingue
Dominique Christophe / Cri-Cri (Tintin)
Daniel Gilard / Croquignol
Monique Hervouët / La présentatrice
Didier Lastère / Le dessinateur
Annie Piveteau / Costumes                                                          
Jean-Louis Raynaud / Général Grouboche-Zapatanas
Michel Van Speybroeck / Filochard
Verina Weiss / Xanthana de Ksam.

Sur la présence de la bande dessinée chez P. J. Oswald, voir la planche de Paul Gillon en couverture de Fils Carlos décédé et à l’intérieur celle de Michel Raffaëlli ainsi que deux planches de la BD de Danièle Rozier dans Noëlle de joie - Les Ciseaux d’Anastasie de Jacques Kraemer. Voir aussi le dessin de Reiser en couverture de J’ai confiance en la justice de mon pays de Alain Scoff.

 

Georges Perpes 

29 mars 2022