Les Comptoirs de la baie d'Hudson

Année de publication: 1974

 

GUIMET Jacques  Les Comptoirs de la baie d'Hudson (Merchant ships) suivi de Livre de bord du capitaine Georges Deslouis, collection "Théâtre en France", P. J. Oswald,  novembre 1974. -110p.

Représentations parisiennes en mai 1974 sous le titre Merchant ships à l'American Center. Reprise sous le titre Les Comptoirs de la baie d'Hudson au Nouveau Carré de Silvia Montfort en novembre 1974. Spectacle en trois parties,  mise en scène de Jacques Guimet scénographie de Jacques Guimet et d' Alain Chambon, chorégraphie de Serge Ducher, musique de John Cage et Richard Wagner, costumes d'Étienne Couléon, avec Francis Arnaud (le capitaine), Serge Ducher (Comme-tu-veux), Michel Yeco (le cuisinier), Maria Cabral (le mousse), Jacques Mathou (le bosco), Jean-Paul Milou (le vieux monsieur), Gabriella Kotta (l'homme de veille), Karin Romer (la vieille dame), Dominique Maillot (Jacqies-Jean timonier), Farid Rabia (le second), Karine Rouquet ou Karin Romer, ou Mérète Degenkolw (selon les soirs, Marguerite), Jean-Loup Very (la mère de Marguerite, le 3ème officier, le médecin)...

 Sur Merchant ships, sous le titre "Navigation solitaire", voici ce qu’écrivait Émile Copfermann dans Travail théâtral (n°17, octobre 1974). «Ce sont armoires en désordre, côte à côte, de hauteur variable, l’entassement progressif d’un grenier qu’on peut dérouler en temporalité. Le grenier d’une maison, c’est une mémoire. Un enchevêtrement tout le contraire du hasard, significatif confidentiellement. Certaines de ces armoires présentent une partie de leur champ, d’autres sont parallèles à la scène sur laquelle les spectateurs sont assis, les surmontant. Sur quelques unes des malles, des tables de nuit. Leur unité, à tous ces meubles ? Leur matière, du bois bon marché, du sapin crème ocré, naturel, la diversité, le rythme, leur taille, leur position. Au sol, une toile dont les plis ondulent, coulent. La lumière rasante de projecteurs latéraux y créeront des vagues d’ombre, tandis qu’agonise, sur un lit, un personnage en quelque sorte biblique - était-il barbu ? je crois que oui - tiré du noir des morts par une lampe de chevet à la lumière blafarde. La navigation théâtrale s’élance de son lit, un port. Merchant ships, que la compagnie Jacques Guimet a joué cinq fois au Centre américain des artistes et qu’elle reprendra cette saison, se noue d’un mouvement constant du langage et de l’image. Pas de narration, d’action perceptibles, mais un lent déplacement, obsessionnel, phantasmatique, un récit sous le récit que chacun déchiffre à sa façon. L’Ontological Hysteric Théâtre de Richard Foreman, avec Une semaine sous l’influence de…, nous avait préparés à ce mode de représentation, où la référence picturale prend souvent le dessus. Chez Foreman - et comment ne pas évoquer le Ballet mécanique de Fernand Léger - la répétition approche, rapproche, puis éloigne le sens, le déplace. Merchant ships n’y va pas de la lancinante répétition, de l’insistance du disque rayé. L’enfant héritier devient capitaine, part, le bateau s’ébranle  et ce sont des moments intenses que ceux où le bric-à-brac mobilier éclate, se disperse, recompose un nouvel espace). Bob Wilson ? Peut-être. Je songe surtout à Huckleberry Finn, une des plus belles histoires épiques-mythiques qui soit. Huckleberry, l’un des premiers juifs errants du continent américain. Huckleberry et l’infanticide; Huckleberry et son père assassiné; Huckleberry et le voyageur émancipateur - sa liberté au bout du fleuve et celle de l’esclave/ombre. Dans les greniers sombres, la navigation imaginaire."


Voici ce qu'écrivait Michel Cournot dans Le Monde (5 décembre 1974) après une représentation au Carré Montfort : "(…) Les Comptoirs de la baie d'Hudson appartiennent de toute évidence à cette catégorie de créations difficiles. C'est une parabole, dans l'emploi kafkaïen du mot, qui prend pour prétexte les liens cabalistiques d'un capitaine et de son équipage sur un bâtiment marchand pendant un long voyage dans le Grand Nord. Écrite et réalisée par des penseurs, cette pièce est un concentré de bouillon de culture. Chaque phrase, chaque geste, très lentement exécutés, participent de plusieurs codes à la fois. Il faudrait être un "computer" pour en débrouiller les signes. Psychanalystes, structuralistes, philosophes, professeurs et étudiants seront satisfaits de trouver là une projection fervente et réfléchie de leurs recherches. Les spectateurs moins savants, s'ils parviennent à trouver une bonne disposition d'esprit, ne pourront que se laisser envahir par l'attrait de gestes simples, mais cachés, et forts d'une charge mystérieuse."