Le temps des cerises

Année de publication: 1977

 

SCANT Jean-Claude          Le temps des cerises ou Le nouveau procès de Caramentran, série pourpre, P.J. Oswald, mai 1977. -118p.

Réalisation collective du Théâtre de l'Olivier, Le temps des cerises a été créée à Aix-en-Provence, le 15 juin 1976, au Relais culturel (ex-Théâtre du Centre). Texte et mise en scène de Jean-Claude Scant, décors et costumes de Françoise Martinelli, avec Jean-Jacques Baussan, Angès Guibert, Antoine Heyboer, Jean-Pierre Nicoli, Michèle Rochin, Jean-Claude Scant, Minéo Sakai, Sylvie Viaut.

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Ci-dessous Cerises du 15 août à Vinsobres, un article de Claire Devarrieux, dans Le Monde du 18 août 1976.
C'est en somme une histoire de trains détournés qui arrivent trop tard-et le car est parti. De trains qui repartent trop tôt, car la fête n'est pas finie. Et là, un espace-temps : d'Orange à Orange : une journée et une nuit à Vinsobres (Drôme). On y entre posté de Paris comme dans un moulin de Daudet (ou bien l'on vient d'ailleurs, mais ce n'est pas le même goût, sans doute), la nuit est accueillante, vraiment, douce, une boîte à musique. La voiture (" Près de la voie ferrée à Valence, c'était une usine qui flambait, la plus importante. Cinq cents ouvriers au chômage. Moi ? Je suis agriculteur. Hier, on a eu la grêle : 50 % des vignes fichues, certains d'entre nous n'étaient pas assurés ") a été laissée en retrait pour ne pas déranger à cause du bruit. Sur une place une lumière blanche tombe sur une scène ; de dos, des silhouettes noires rient et applaudissent. Dédé (le paysan) et en train d'expliquer à Nicole (la fiancée, ouvrière) : " Je pense à mes cerises... 1,50 F le kilo, voilà ce qu'ils me donnent. Ils ont redescendu les prix et, pendant ce temps, les camions  italiens, ils continuent à arriver. " Pendant le débat qui suivra la représentation du Temps des cerises, quelqu'un dira : " Votre grand mérite, c'est de jouer la réalité. "
De la cerise dans l'arbre à la cerise dans la boîte, confite, de la dépossession des actionnaires par les trusts à la lutte des ouvriers et des paysans, il y a la crise du capitalisme (Martial dira : " En 36, l'économie devait couler : on ne voulait pas donner les congés payés " ), l'argent que l'on porte en Suisse, la manifestation à la sous-préfecture, le mari qui ne sait pas faire la bouillie, sa femme est-en grève-à l'usine occupée. Le Théâtre de l'Olivier avait déjà utilisé cette méthode de travail-enquête et documentation précédant l'élaboration collective d'un scénario-pour Village à vendre, il y a deux ans. " Cela nous a permis d'approfondir la connaissance des problèmes régionaux-agriculture et industries de transformation-notamment dans le Vaucluse et la région du Luberon, où se situe l'action de cette pièce. " À Apt, le public a reconnu les personnages, à peine transposés, et c'était délirant, paraît-il, l'enthousiasme. " Il faut démarrer avec l'imaginaire, cependant ; représenter des choses qui existent encore dans la mémoire des gens. " Ici et là se sont créés des groupes d'expression sur plusieurs villages. Par exemple, un spectacle s'est monté, à propos d'une école que, faute d'écoliers, on voulait fermer. L'école n'a pas fermé, "le village n'a pas crevé".

Au débat, il est resté la moitié des spectateurs-six cents personnes étaient venues, beaucoup d'"étrangers", certes, mais le village compte huit cents âmes ; c'était finalement gratuit, parce que le prix prévu, 5 francs, "est déjà trop élevé pour un retraité". Et alors ce fut un vrai débat. Sont intervenus Martial, un peintre montmartrois (il a pris sa retraite à Vinsobres), un publicitaire suisse (qui a dessiné les étiquettes des vins de Vinsobres), une Anglaise, un jeune patron (petit ou moyen, de la région parisienne), un émigré Scandinave, des agriculteurs, et d'autres voix, plus anonymes. Alors se sont affrontés les accents-sans colère, avec raison (s), - les accents et les idées politiques. En aparté, une fille a dit : " La déléguée syndicale, c'est incroyable ce qu'elle ressemble à ma tante ; lui (Jean-Claude Scant), il est trop beau gosse, il devrait jouer les tragiques. " Puis Martial a lancé : " Ça m'a fait penser à Brecht, le côté satire. " Le jeune patron : " Vous avez un parti pris contre le patronat, je suis un jeune patron et ça ne se passe pas comme ça dans mon entreprise. " On lui a demandé comment ça se passait chez lui, et puisque ça se passait si bien, pourquoi y avait-il encore besoin de patron. On a continué encore, parlant d'autogestion : possible, impossible, dans quel système ? " Nous autres paysans, n'avons-nous pas aussi des côtés exploiteurs ? Dans notre coopérative, il y a des gens qui travaillent à la chaîne. " - " On n'a pas à se sentir visé parce qu'on a dix ouvriers. Le petit patron aussi a intérêt à un changement de société. " - " Est-ce à dire qu'il faut défendre les P.M.E. ? " " Moi, Parisienne, j'ai perçu le problème occitan, intégré à la vie des gens ; vous rendez les choses sensibles. " - " Les Occitans se sont aussi reconnus, sans que le mot soit prononcé ; ce qui compte, c'est la chose. " Martial : " J'adore entendre votre accent, mais ce qui compte c'est la politique, pas la France divisée en petits jardins. " Le Suisse : " Ce qui compte, c'est le peuple de France. " Le Suédois : " En Europe du Nord, on a abattu tant d'arbres que ça se passe là-haut comme ici : le pays est vide. On joue la carte locale, mais on oublie l'internationalisme. " L'Anglaise : " Chez nous, il se passe des choses pires qu'ici, mais il n'y a pas de théâtre comme ça pour le dire. "       Cela n'a pas duré longtemps, les comédiens étaient fatigués. Le lendemain midi, un aïoli a rassemblé trois cents personnes sur la place du village, moyennant 25 F (c'est cela et les recettes de la buvette qui ont permis que la fête du 15 août soit gratuite). La fanfare marseillaise Blaguebolle a joué des airs traditionnels " arrangés " (le soir, elle devait faire une parade dans la rue et présenter Zinc à six, s'inspirant de la commedia dell'arte, parfois du cirque), c'est une bonne fanfare, un gamin a avalé une punaise, la camionnette du Théâtre de l'Olivier a disparu dans la pente, après le tournant, des gens ont dansé.                " C'est la troisième fois que nous organisons ça pour le 15 août, dit un des responsables. Deux jours de spectacles. Au départ, il y a une association, l'Abeille vinsobraise, qui existe depuis 1906. Association d'éducation populaire, elle adhère à la Fédération des œuvres laïques. Au club des jeunes, toute l'année, nous faisons de l'animation. Nous sommes des bénévoles, en majorité des agriculteurs. Nous avons voulu partir en guerre contre les fêtes annuelles où les gens ne font que consommer des orchestres " yéyé " qui coûtent très cher aux municipalités. Au début, le village était réticent. Ça va mieux, mais ce n'est pas gagné. " Il hésite, dit qu'il parle mal parce qu'il est paysan, s'en va. Drôle de pays entre deux trains, avec une église et un temple, et pas un café. L'important, c'est le vin qu'ils font. Ils en sont très fiers. " Vous en parlerez ? " ont-ils demandé.