Le Printemps des Bonnets Rouges

Année de publication: 1972

 

KEINEG Paol                Le Printemps des Bonnets Rouges, dessin de couverture de Michel Raffaëlli, collection “Théâtre hors la France”, P. J. Oswald, achevé  d'imprimer en décembre 1972 par Daniel Chénel imprimeur à Honfleur. -89p.

Pièce historique centrée sur Sebastian ar Balp, meneur de la révolte des Bonnets rouges contre le Papier timbré, assassiné le 3 septembre 1635. "Ce que l'homme a défait / l'homme peut le faire. /Assez de mélancolie / assez de complaisance / de lamentations. / Il nous reste les immensités / de l'enthousiasme et de l'intelligence. / Il nous reste / le parfum violent d'une patrie à construire."

Le Printemps des Bonnets Rouges a été créé le 9 décembre 1972, à Paris, au Théâtre de la Tempête (Cartoucherie). Collectif de création : Paol Keineg, Michel Raffaëlli, Jean-Marie Serreau, Michel Tréguer. Collectif de réalisation : Morando Bllandi, Lucile Bellanger, Jacques Boudet, Boudjema Bouhada, Anne Delbée, Hervé Denis, Nicole Derlon, Jacques Derlon, Alain Derlon, Akonio Dolo, Dani Escriva, Huguette Faget, Marie-Françoise George, Nicole Géraud, Dominique Gulmann, Paol Keineg, Milhoud Khatib, Dominique Lacarrière, Jean-Marie Lancelot, Claude Merlin, Jouk Minor, Alfred Panou, Michel Raffaëlli, Jean-Paul Rondepierre, Jacques Roussillon, Louis Samier, Yves Samson, Dominique Serreau, Jean-Marie Serreau, Than-Long, Danielle Van Bercheycke, Alain Viguier, Bernard Vitet. C'est le dernier spectacle mis en scène par Jean-Marie Serreau qui meurt le 22 mai 1973.

" Cartoucherie de Vincennes : face au Théâtre du Soleil, celui de la Tempête. Face à l'histoire des Français de 1789 et 1793, celle d'une révolte de paysans bretons sous Louis XIV, en 1675 : le Printemps des bonnets rouges, du "collectif de création  Paol Keineg, Michel Raffaelli, Michel Treguer, Jean-Marie Serreau.                                                 Michel Raffaelli a construit le dispositif scénique : entre la Bretagne et Versailles, une route. Il y a des comédiens noirs et blancs (bretons-antillais, même combat). En attendant Jean-Marie Serreau, ils chantent une chanson d'Homme pour homme, qu'ils ont joué à la Martinique."On a tout réalisé en quinze jours, dit Raffaelli. Quelle histoire ! Si ça n'avait pas été pour Jean-Marie..." Jean-Marie Serreau a ses fidèles depuis vingt-cinq ans. Peu importent son âge, sa fatigue physique, la maladie qui l'oblige à marcher avec une canne, il est d'une incroyable vitalité. Une vitalité nonchalante. Sans doute parce qu'il ne s'est jamais installé dans aucun système, qu'il ne s'attache pas à ce qui est fait, mais à ce qui reste à faire. Il considère toute mise en scène comme un renouvellement complet : " Il faut pour chaque œuvre réinventer un langage, un système de codes. " Il cite Bachelard : " Des images aptes à mettre en mouvement le verbe. " Il aime les auteurs non confirmés, ce qui lui évite de se laisser brimer par les " restes de l'esprit colonialiste du dix-neuvième siècle ". Il raconte que, lorsqu'il montait Beckett au Théâtre Babylone, la Société des auteurs lui reprochait de négliger les Français. Il évite aussi de se laisser étouffer par un amas de références culturelles : " Nous sommes écrasés par la perfection passée du dix-septième siècle. Le théâtre doit avoir un rapport avec les problèmes fondamentaux contemporains. Je ne pense pas que ce soit possible avec les classiques. Il est peut-être intéressant d'y chercher les germes progressistes ou même révolutionnaires, mais, moi, ça ne m'intéresse pas. J'ai une position extrêmement fanatique à ce sujet ", ajoute-t-il d'une voix douce ; et, avec le sourire : " Je considère ce type de travail comme subtilement récupéré par la culture classique." Jean-  Marie Serreau a le regard distrait des poètes et des savants de bandes dessinées. Il dit que sa pensée est cohérente, le tout est d'en dégager les constantes. La rhétorique ne trouve chez lui aucun écho ; en revanche, la poésie le fait vibrer, déclenche son imagination : " Il n'y a guère que les poètes pour être perturbateurs. Leur fonction est de semer le doute, de dire les mots que les autres ont envie d'entendre. " Après une période pendant laquelle il balançait entre Brecht - celui pour qui tout n'en finit pas de commencer - et Beckett - celui pour qui tout n'en finit pas de finir, - il s'est dirigé vers des auteurs dont la pensée est peut-être " plus naïve, plus schématique, mais aussi plus généreuse ". C'était la découverte d'Aimé Césaire, de Kateb Yacine..."On a besoin d'un théâtre proche du baroque, difficile à imposer dans un pays cartésien. Je ne suis pas cartésien, mais Français. Je suis comme tous les singes qui ont appris à parler." Faire une mise en scène, c'est transformer l'événement de la répétition en décision. On essaie, on choisit. Et il n'y a pas de différence entre le fait de demander à un comédien de se placer plus à droite et la " conception " de la mise en scène. C'est ça pendant un mois ou parfois deux ; ça devrait continuer - mais, là, on frise l'utopie - pendant les représentations. Un spectacle devrait toujours être modifiable. Achevé, il est mort. Il ne faut jamais se contenter de ce que l'on a acquis. Dans aucun domaine. Il y a du nouveau à trouver, ou plutôt à chercher que ce soit dans le monde capitaliste ou socialiste : la place réelle du poète." Colette Godard, Le Monde, 8 décembre 1972.

Dans Les Temps modernes (n°339 - octobre 1974 - pp. 155-169), la critique Renée Saurel consacre un long article  - intitulé Sang et or, de l'Afrique à la Bretagne -  à six pièces éditées par P.J. Oswald  ayant un rapport avec l'Afrique : Süd-Afrika Amen de Anne Barbey, Kafra-Biatanga et Amilcar Cabral de Alexandre Kum'a N'dumbe IIIMort d’Oluwemi d’Ajumako de Maryse Condé, Ventres Pleins Ventres Creux de Daniel Boukman, Le sang des feuilles mortes de Numa Sadoul. Elle le conclut par quelques mots sur Le Printemps des Bonnets Rouges et sur... Jeanne Laurent. "Passer de l'Afrique à la Bretagne est moins saugrenu qu'il ne semble. En fait de colonisation, la Bretagne...C'est d'ailleurs chez Oswald qu'a été publiée la pièce du poète breton Paol Keineg : Le Printemps des bonnets rouges qui fut la dernière mise en scène de Serreau. Dans ce beau poème dramatique, Keineg a pris avec la vérité historique des libertés tout à fait légitimes. Il se trouve que deux ouvrages, parus en juin dernier et tous deux consacrés à la Bretagne, donnent d'intéressantes précisions sur ce printemps sanglant de 1675.Le premier a pour titre : Bretagne, renaissance d'un peuple et pour auteur Jean-Pierre Le Dantec. L'autre, Bretagne et Bretons est de Jeanne Laurent. Archiviste-paléographe avant de devenir, après la Libération, sous-directrice au ministère des Beaux-Arts, Jeanne Laurent a repris et complété en 1972 une thèse intitulée : Un monde rural en Bretagne au xve siècle, la quévaise. Elle a fait à cet important ouvrage des emprunts pour écrire certains chapitres de Bretagne et Bretons . On y trouve d'autre part relatée (pages 82- 87) l'histoire de la grande révolte de 1675, dite « Révolte du papier timbré » qui eut pour origine l'imposition de nouvelles charges fiscales destinées à procurer à Louis XIV l'argent nécessaire à des dépenses militaires. Obligation du papier timbré pour tous les actes judiciaires, création du monopole de la vente du tabac, établissement de droits de marque sur la vaisselle d'étain... La jacquerie, commencée le 9 juin1675 dans la basse Cornouaille s'amplifie quand le marquis de La Coste, appelé « le grand gabelleur » et lieutenant du roi pour la Basse-Bretagne, passe son épée à travers le corps du sergent (huissier) que les manifestants lui avaient délégué pour exposer les notifications officielles. Trois mois après le début de la révolte, en septembre, la situation est si explosive, notamment en Haute-Cornouaille où un notaire, Sébastien Le Balp, mène les paysans, que la sécurité du royaume paraît menacée. Ce que fut la répression, Jeanne Laurent nous le conte en détail. La ville de Rennes, en particulier, paya un prix très élevé : massacres, quartiers rasés, occupation militaire. Pour la pillage et l'incendie des châteaux, les villes et les villages durent verser des indemnités considérables. Tortures, déportations aux galères, exécutions en séries. L’amnistie royale du 5 février 1676 excluait quelques paroisses, dont Comprit, qui eut son clocher rasé. Il est intéressant de noter que le malheur des uns fit la fortune des autres : une fraction de la bourgeoisie faisait fonction de « fermiers des devoirs », c'est-à-dire qu'elle avait pris à ferme la perception des impôts et celle des redevances dues aux seigneurs laïques et ecclésiastiques, en prélevant, bien entendu, sa dîme. Au détriment des paysans. Qu'il s'agisse de la Bretagne avant l'arrivée des Britons (venus du pays de Galles, du Devon et de la Cornouaille britannique), de la première civilisation qui laissa peu de vestiges parce que ses édifices étaient construits en bois, de l'Abbaye de Landévennec « au temps où St-Marc y portait une tête de cheval », de l'essor économique et spirituel du XIIe siècle, de l'oeuvre des ducs qui, tel Pierre de Dreux, n'étaient pas Bretons, du grand siècle enfin, le XVe, de la révolution de 1789, de la chouannerie et de l'hypothèque qu'elle fait encore peser sur la Bretagne, du problème actuel breton, de la lutte que mène ce pays pour tarir l’émigration et pour éviter cette sorte de prostitution qu’est le développement excessif de l’industrie vacancière, de la préservation du patrimoine architectural, pictural, de cette langue bretonne que Jeanne Laurent parle comme le français, tout, dans ce livre passionné mais juste pulvérise allègrement le mythe du « retard breton »"

Le Printemps des Bonnets Rouges ouvre une nouvelle collection : “Théâtre hors la France”, la troisième chronologiquement après "Théâtre africain" et "Théâtre en France". À partir de cette date, elle va regrouper d'une part, des auteurs comme Colette Hélard-Cosnier (Marion du Faouët), André Benedetto (Nostra dona dei bordilhas), Guy Vassal (La Guerre des Demoiselles) ou des compagnies comme Lo Teatre de la Carriera (La Pastorale de Fos), installés en Bretagne, en  Occitanie, porteurs d'une autre vision de la construction de la France, d'un discours sur "la colonisation intérieure" et d'autre part des auteurs "étrangers", comme le Mexicain Carballido, le Hongrois Miklos Hubay, les Suédois Werner Arpenström et Harry Martinson, l'Allemand Karl Valentin.