L’ exil d’Albouri – La décision.

Année de publication: 1967

 

NDAO  Sidi Ahmed Cheik           L’ exil d’Albouri – La décision, préface de Bakary Traoré, collection "Théâtre africain", n°1,  imprimé à Honfleur, en juin 1967, par Pierre Jean Oswald (16, rue des Capucins, Honfleur). - 132p. Le livre sera réimprimé en novembre 1975 à Honfleur, avec mention de l'adresse des locaux parisiens de l'éditeur : 7, rue de l'École-Polytechnique, Paris, 5ème. La quatrième de couverture sera modifiée après l'obtention par la pièce du "premier prix" au Festival panafricain d'Alger en 1969.

Avant ce livre, les deux précédentes adresses des éditions Pierre Jean Oswald étaient à Tunis où Pierre-Jean Oswald avait dû s'exiler : 10, rue de Russie, où, en 1962, il a édité Théâtre algérien, puis 5, avenue de Carthage où, entre autres, il a publié en 1963, dans la collection "J’exige la parole", en français et en arabe, Algérie capitale Alger, recueil de poèmes d’Anna Greki.

À partir de fin 1964, on retrouve sa trace en France, dans le Calvados, plus précisément à Honfleur, 16, rue des Capucins où il s'est installé grâce aux 40 000 francs "fournis par plus de cent amis et lecteurs."  En 1965, il imprime et édite des poèmes de Bernard Vargaftig, Andrée Barret, Pierre Poujol. Mais surtout, en juin de la même année, son nom apparaît en bas de la couverture du numéro 27 de la mythique revue trimestrielle Action poétique, fondée à Marseille en 1950 par Gérald Neveu et Jean Malrieu, gérée depuis 1958 par Henri Deluy. Il prend la suite de l’éditeur grenoblois Didier-Richard et le fera jusqu’au numéro 43, 2ème trimestre 1970, date de la rupture avec l'équipe d’Action poétique. Fin 1965, en collaboration et sous la direction du comité de rédaction de la revue Action poétique, il reprend la collection "Alluvions" qui, depuis 1961, avait publié vingt-deux recueils de poèmes ; il devient l’éditeur de ce qui prend le nom de collection "Action poétique".

De mai 1966 à avril 1967, il est l’imprimeur de trois numéros de la revue de philosophie Aletheia : le  numéro 4 est consacré au structuralisme avec des textes de Lévi-Strauss, Barthes, Lapassade ; le numéro 5 s'interroge sur le nihilisme; le numéro 6 comporte un texte d’Herbert Marcuse.

En juin 1967, pour la première fois depuis cinq ans, il édite deux pièces de théâtre et lance même une collection "Théâtre africain". Qu’est-ce qui l’a amené à prendre cette décision ? Comment expliquer ce virage ? Pour le moment, nous laissons ces questions en suspens.

L'exil d'Albouri de Cheik A. Ndao est une pièce historique, épique, en neuf tableaux. Isolé, ne pouvant rivaliser avec la puissance de feu des canons de l'artillerie française, sachant le combat sans espoir, le roi Albouri (Alboury Ndiaye 1847 - 1901), vaillant chef de guerre,  entame avec tout son peuple "une longue marche"  vers Ségou, espérant y trouver un nouvel allié. Imprimée en juin 1967, la pièce est créée le 3 mars 1968 au Théâtre Daniel-Sorano de Dakar, dans une mise en scène de Raymond Hermantier (1924-2005), assisté  d'Eddje Diop, des décors d'Ibou Diouf, des costumes d'Ibou Diouf et Line Senghor. La pièce représentera le Sénégal au Festival panafricain qui se tint à Alger du 21 juillet au 1er août 1969.  Le spectacle obtiendra le premier prix du théâtre; le second prix ira à Et la nuit illumine de Michel Émile Cissé (Guinée), le troisième à Les moutons répètent de Ahmed Taïel El Adj (Maroc). La même année, la troupe du Théâtre National du Sénégal  (voir photo noir et blanc ci-contre) sera accueillie à Paris, à l'Odéon. Elle y donne du 11 au 27 décembre onze représentations de Macbeth de Shakespeare dans la traduction de Maurice Maeterlinck, dont une le 12 décembre en présence du président sénégalais et récent académicien français Léopold Sédar Senghor. Elle y présente du 18 au 23 décembre 1969, L'exil d'Albouri de Cheik A. Ndao, puis, du 29 décembre au 3 janvier 1970, L'Os de Mor-Lam de Birago Diop, mis en scène par Maurice Sédar Senghor, directeur du T.N.S..Par ordre d'entrée en scène, voici la distribution de L'exil d'Albouri annoncée dans le programme de l'Odéon :  Serigne N'Ddiaye Gonzales, Daouda M'Baye, Moussa Diouf, Ismalla Cisse, N'Diaga M'Baye, Aminata Fall, Doura Mane, Oumar Seck, Mamadou Dioum, Boubacar Guiro, Eddje Diop, Guillaume Correa, Coly M'Baye, Jean-Pierre Leurs, Jacqueline Scott Lemoine, Fatim Diagne, Khady Thiam.

Le prestige lié au succès rencontré par L'exil d'Albouri  à Alger - "Les chrétiens vont au Vatican, les musulmans à la Mecque et les révolutionnaires à Alger" dixit Amilcar Cabral, en 1968 - a un peu éclipsé La décision, une autre pièce de Ndao, publiée simultanément. Pièce en trois tableaux, La décision se déroule dans les années 60, dans un État ségrégationniste du Sud des États-Unis. Jacques Wilson, étudiant afro-américain de 24 ans, a conquis, comme Robert, un autre étudiant, le droit d'entrer à l’université de son choix. Son frère Ted et l’oncle Chiffon, militants tous les deux, voient en lui un symbole qui pourrait faire avancer la cause des Noirs s’il optait pour l'université de sa ville : il serait le premier Noir à y entrer … protégé du Ku Klux Klan par deux rangs de policiers fédéraux. Lui ne se sent pas l’étoffe d’un héros. Comme sa mère, veuve de 55 ans, modeste lingère qui s’est sacrifiée pour qu’il puisse faire des études, comme Mary, sa fiancée, et le père de Mary, bourgeois noir, il envisage prudemment de choisir par sécurité une université du Nord.  Dès la deuxième scène, la pièce tourne à un huis-clos, de plus en plus oppressant. Des émeutiers blancs, ayant appris que deux étudiants noirs peuvent entrer à l'université, circulent dans la ville à leur recherche. Enfermé dans la maison de sa mère, Jacques apprend successivement que son père a été en fait assassiné à cause de ses activités syndicales, que Robert, l’autre étudiant, vient d‘être tué, que Ted a explosé sur une bombe déposée par le KKK. Il prend la décision de rester. Indirectement, la pièce est un hommage à W. E. B. Du Bois, un des fondateurs de la National Association for the Advancement of Colored People, premier afro-américain à avoir obtenu un doctorat à Harvard.

Avec l'édition de ces deux pièces de Cheik A. Ndao, Pierre-Jean Oswald - qui n'avait édité depuis 1951 que quatre pièces de théâtre de Daniel Mauroc, Henri Kréa, Ait Djafer - entame une collection "Théâtre africain", ouverte à des dramaturges de Côte d'Ivoire, Guinée, du Cameroun, d'Algérie, du Nigéria, du Congo, mais aussi de Haïti, Martinique, Guadeloupe. Elle comptera trente-trois numéros à son arrêt en 1977. La maquette de la collection est graphiquement une réussite. La première de couverture restera inchangée pendant dix ans : sur fond blanc, alternance de lettrages en noir (nom de l'auteur, de la collection) et rouge (titre,  p.j. oswald, numérotation) avec sur la gauche une seule et même icône, celle d'une sculpture africaine.

Plus largement, Pierre-Jean Oswald commence un travail d'éditeur de théâtre puisque progressivement il va créer deux autres collections : en juin 1968, la série "Théâtre en France" dont le premier titre est Napalm d'André Benedetto, puis la collection "Théâtre hors la France", en décembre 1972, avec Le Printemps des Bonnets Rouges de Paol Keineg. Au final, quand Pierre-Jean Oswald publie en juillet 1977, juste avant de faire faillite, Reflets de Jean-Claude Decobecq, il aura édité en dix ans, plus de cent quarante pièces.  

Georges Perpes

Le peu que je sais sur Pierre-Jean Oswald : 1 Sacher-Masoch ou Le Christ orphelin   2 Le Séisme   3 Complainte des mendiants arabes de la Casbah      4 Théâtre algérien  5 L’ exil d’Albouri   Reflets.