Exemplaire histoire de la condamnation de la grâce puis de l’élection du lieutenant William Calley marchand d’armes et champion de l’ordre nouveau

Année de publication: 1971

 

BISSON Jean-Pierre - Ali Raffi  Exemplaire histoire de la condamnation de la grâce puis de l’élection du lieutenant William Calley marchand d’armes et champion de l’ordre nouveau, collection "Théâtre en France", P. J. Oswald, juillet 1971.-87p.

Dédié à Clara Goldmyc, morte d’un cancer, le texte fut joué à Paris au Théâtre de Plaisance en décembre 1971.  À l’époque, l’histoire de cet officier de l’armée américaine qui, le 16 mars 1968, tua avec ses hommes 350 à 500 civils du village de Song My (My Lai) au Sud-Vietnam, a fait la une des journaux. L’affaire a éclaté en novembre 1969 et divisé l’opinion publique américaine à un moment où les actes d’insubordination, meurtres de gradés, désertions se multiplient dans l'armée, en particulier chez les Marines. Mais les faits sont avérés, ne sont pas de la propagande nord-vietnamienne et le lieutenant Calley, après un procès retentissant, sera finalement le seul à être condamné en avril 1971 par une cour martiale à la prison à vie pour le massacre de 22 civils. Quelques jours après, sa peine était commuée et il sera libéré en 1974, un an après la signature des accords de paix de Paris.

Dans cette fiction, écrite à chaud, Bisson oppose au personnage du déserteur, errant sans repos, ne pouvant effacer l’image du bébé qu’il a tué, le personnage d'un William Calley, promu général puis élu président des États-Unis. La pièce commence avec la célébration par un soldat de son fusil : « Mon fusil,  tu es mon meilleur ami,  tu es humain, tu es ma vie." Elle se termine par la prière d’une femme : «Nous voulons porter un fusil et tirer, c’est pour cela que nous sommes nés. Et nous voulons surtout la bombe ou bien l’humanité sera foutue. Allons, donne-nous la guerre, la guerre, la guerre… nous combattrons n’importe qui puisse c’est notre raison de vivre. » Au milieu, scène centrale, un bal réunissant à la Maison blanche, dictateurs et marchands d’armes de divers pays.

Dans un avertissement, Bisson écrivait : «  Tout le monde sait que l’exportation française en armes représente près de 30% de l’exportation totale. Tout le monde le sait. Ce qui sous-entend que ce même monde sait que la France, les États-Unis, la Suisse, l’Angleterre, etc., entretiennent dans divers territoires soit la guerre ouverte, soit la répression impitoyable d’un gouvernement fantoche à leur solde contre le peuple voulant recouvrer sa véritable indépendance : Tchad, Biafra, Vietnam, Palestine, Pakistan, Angola, Afrique du Sud, Haïti, Martinique, Réunion, Bolivie, Mexique, Brésil, et caetera. (…) Savez-vous qu’en Bretagne, les agriculteurs s’arment et occupent des champs entiers, luttant directement contre les trusteurs capitalistes qui chassent les paysans de leur terre ou les transforment en misérables métayers ? Ces mêmes métayers ont descendu un hélicoptère de la gendarmerie : deux morts (gendarmes). Personne n’en a parlé. Vous voyez que les hélicoptères ne sont pas descendus qu’au Vietnam. Hélas ! Comment parler d’autre chose ? Je serais plutôt enclin à chanter la passante aux yeux bleus mais, entre ses yeux bleus et mes yeux marrons, il y a toujours un flic casqué, un boulanger qui tire sur un adolescent"

Dans Le Monde du 18 janvier 1972, Colette Godard écrit :  " Le " théâtre document " n'a jamais été l'objectif de Jean-Pierre Bisson. La réalité historique lui importe peu ; et pas davantage l'analyse politique. Le cas du lieutenant américain Calley, reconnu personnellement coupable de la mort de civils vietnamiens au village de Song-My, condamné à une lourde peine de prison puis gracié par le président Nixon, a servi de point de départ à une fable angoissée sur la violence nécessaire. Et acceptée. Jean-Pierre Bisson montre un Calley superstar, idole des scouts, modèle pour les héros du cinéma américain John Wayne et Billy le Kid, et qui témoigne de la bonne conscience des défenseurs de la loi et de l'ordre, pourfendeurs d'intellectuels, exploiteurs d'un tiers-monde qui se soumet pour quelques dollars de plus. Chez les enfants, le goût des jeux guerriers est sublimé et les hommes " veulent un fusil et tirer. Tout ce que nous avons à faire, c'est de croire que nous avons raison " . En quelques tableaux satiriques, Jean-Pierre Bisson démythifie le héros " viril " et destructeur. Tout homme est coupable de la guerre au Vietnam, des génocides au Biafra. Jean-Pierre Bisson ne s'exclut pas du nombre des complices. Il est de ceux qui envoient du lait concentré aux victimes, des armes aux bourreaux et Molière aux sous-développés économiques. Il exprime son déchirement et son désespoir à travers le personnage d'un déserteur incapable de fuir sa culpabilité, de se réfugier dans la vie quotidienne, de chercher le pardon. Mais le spectacle de Jean-Pierre Bisson, en partie à cause de ses moyens extrêmement limités, n'est pas toujours à la hauteur du talent de l’écrivain. »

Quinze ans après, dans Théâtre magazine, n°3 (1986), Bisson se souvient : "Je me suis pris un peu au sérieux en racontant l'histoire du Lieutenant Calley, vous savez, ce type qui avait exterminé un... bon enfin. J'avais voulu écrire une pièce sur les marchands d'armes; une thèse, quoi ! On avait fait ça à deux avec un comédien, Ali Raffi, le président des étudiants iraniens. Cette pièce, c'était une merde. Et après je suis passé à autre chose. Sarcelles-sur-Mer."

Sur la guerre du Vietnam,  P.J. Oswald a édité Napalm et Chant funèbre pour un soldat américain d'André Benedetto, Safarirama de Xavier Pommeret. Voir aussi la "pièce de guerre" de Numa Sadoul, Le Sang des feuilles mortes.