Emballage

Année de publication: 1970

 

BENEDETTO André        Emballage, dessin de couverture et dessins intérieurs d'André Benedetto, photos de Frances Ashley et de Daniel Fondimare, collection "Théâtre en France", P. J. Oswald, avril 1970. -115p, ill +16. Deuxième édition.

La première publication d’Emballage a été coéditée en février 1970 par la Maison de la Culture du Havre (M.C.H.) et P.J. Oswald. Cette seconde édition, «définitive», parue en avril 1970, un mois après la création, est une édition augmentée de vingt-sept pages. Elle reprend la couverture de la première édition, sans le logo M.C.H. au recto, avec au verso mention de la série "Théâtre en France" et du prix du livre. À l’intérieur, le texte de la pièce est inchangé, il a la même présentation, la même pagination (103 pages) mais, notable différence, il est maintenant encadré de documents écrits et photographiques. Seize pages - numérotées de 1 à 16 - précèdent le prologue (page 5) et le début de la pièce ; Benedetto y présente différentes étapes du projet. Onze pages numérotées de 105 à 115, viennent après la fin de l’épilogue et de la pièce : elles contiennent notamment la distribution, les modifications (coupures, ajouts) apportées au texte ainsi que Post-emballage, court texte, à la fois mise en perspective et bilan de l'opération, signé par la M.C.H. et la Commission de la Coordination Culturelle de Tourisme et Travail, partenaires du projet.

Grâce aux témoignages croisés d‘André Benedetto et de Bernard Mounier, on peut suivre la naissance et l'avancement du projet. Bernard Mounier, né en 1933, ancien conseiller technique et pédagogique (théâtre, animation rurale) à la Jeunesse et aux Sports, directeur en 1964 du Centre Culturel Français de Madagascar, est depuis 1967, directeur de la première Maison de la Culture (1961), celle du Havre. Installée tout d’abord dans le Musée d’art moderne André-Malraux, elle est transférée en 1967 dans le Théâtre de l'Hôtel de Ville. Parallèlement à sa programmation, Mounier tisse des liens avec comités d’entreprises, syndicats, et plus particulièrement avec la Commission culturelle de Tourisme et Travail. En mars 1969, il fait venir le Théâtre des Ouvrages contemporains, dirigé par Christian Dente qui, en trois semaines, joue notamment dix-huit fois dans des comités d’entreprise et des foyers de travailleurs. Depuis 1968, il accompagne aussi la compagnie amateur havraise Le Tableau gris qui, en octobre 1969, se structure professionnellement sous la forme d'une SCOP et devient le Théâtre de la Salamandre : il met en scène le premier spectacle de la jeune compagnie, Apolllo 69.65.29, sur le thème de la conquête spatiale. Il mettra en scène les deux suivants, deux pièces d'Yvon Birster :  Place Thiers en octobre 1970, puis 40-45, scènes de la résistance populaire en février 1972.
Durant l’été 68, Mounier contacte Benedetto. La rencontre entre les deux hommes a lieu au Havre le dimanche 2 mars 1969. « Mounier doit m’avoir dit quelque chose comme ceci : "Tu arrives au Havre, tu réagis, tu écris une pièce et vous venez la créer ici la saison prochaine, en même temps vous jouerez d’autres pièces de votre répertoire…Et puisque Oswald est ton éditeur et qu’il est installé dans la région, on le met aussi dans le coup…"  Le lendemain, nous sommes allés voir Oswald à Honfleur, en passant par Tancarville. Nous avons ré-examiné le projet de fond en comble. Le rôle d’Oswald consistant à faire une pré-édition de la pièce pour le compte de la M.C.H., celui de Mounier à coordonner toute l’entreprise. Et, le mien, à écrire la pièce. »
À la fin de l’été 1969, suite à la création du Petit train de monsieur Kamodé et à une lecture du premier chapitre du Capital de Marx, Benedetto écrit un début de pièce sur le thème « ce qui se cache dans la marchandise, c’est l’homme, c’est-à-dire le travail humain; ce qui se cache dans l’homme, c’est la marchandise, c’est-à-dire sa force de travail. » Début octobre, Benedetto va au Havre  « avec une proposition de premier acte  », rencontre et en discute avec la commission culture de Tourisme et Travail, des travailleurs de différentes entreprises, des syndicalistes. De retour en Avignon, il écrit une version presque complète de la pièce qu’il lit au Havre le 19 décembre. Suite à de nouvelles discussions, il écrit une seconde version. La première édition du texte est publiée en février 1970.


La pièce est créée le 9 mars 1970 par André Benedetto, Jacqueline Benedetto, Claude Guerre, Jean-Marie Lamblard, Ernest Pignon, Madeleine Ravel et Guy Azevedo à la guitare électrique. Quelques jours auparavant, la compagnie avignonnaise avait présenté Zone rouge au Théâtre de l’Hôtel de ville ; quelques jours après, au même endroit, elle présentait Le petit train de monsieur Kamodé. La création d'Emballage, elle, se fait dans un lieu emblématique, la Bourse du Travail, salle Franklin, le lieu même où, en pleine grève, l'anarcho-syndicaliste Jules Durand prononça le discours fatal qui lui valut d'être injustement condamné à mort en novembre 1910, le lieu même où, en septembre 1961, après deux représentations de Boulevard Durand au cinéma de l' A.B.C., eurent lieu quatre représentations de la pièce d'Armand Salacrou consacrée à cette affaire. Dans un article publié le 28 janvier 1970 dans Les Lettres françaises, Benedetto montre qu'il est parfaitement conscient du contexte entourant la création et dans quelle perspective historique il se place : « Quel travailleur peut le mieux représenter la classe ouvrière du Havre ? Est-ce encore le docker comme Jules Durand ? De quelle marchandise le héros va-t-il avoir besoin ? D’un simple poisson ? ou d’une automobile ? Et, enfin, la lutte des classes a-t-elle la même allure en 1970 qu’en 1910 ? » En avril, sortait l’édition définitive du texte. Emballage sera rejoué mi-avril aux Rencontres internationales de théâtre de Bordeaux puis repris l’été à Avignon avec XerxèsMandrin et Rosa Lux, la nouvelle création de Benedetto.


Ci-dessous, un article de Colette Godard paru dans Le Monde du 25 mars 1970. « Le Havre. - La pièce d'André Benedetto, Emballage est présentée par l'Action culturelle décentralisée, l'une des trois unités qui, en dehors d'une programmation au Théâtre de l'Hôtel de ville, couvrent l'ensemble des activités de la Maison de la culture du Havre, dirigée par Bernard Mounier. Cette action décentralisée est assurée d'une manière permanente par le Théâtre de la Salamandre, avec des spectacles de tréteaux. En outre, chaque année, Bernard Mounier demande à un animateur venu de l'extérieur d'y participer. En mars 1969, Christian Dente, avec le TOC, a donné en trois semaines vingt-trois représentations, dont dix-huit dans les comités d'entreprise et les foyers de jeunes. Actuellement, Emballage est joué à la salle Franklin, " haut lieu du mouvement ouvrier havrais ", par l'équipe d'André Benedetto, installée habituellement à Avignon, au Petit Théâtre des Carmes. Depuis le mois d'octobre. André Benedetto est venu à plusieurs reprises au Havre pour prendre contact avec des responsables de la commission de coordination culturelle Tourisme et Travail, afin de connaître les problèmes spécifiques aux ouvriers de la ville, de recueillir des avis et des suggestions. Il ne s'agit pas d'un travail collectif sur une œuvre-document. André Benedetto utilise le symbole, la fable; et c'est sur le point de jonction entre la réalité et la transposition poétique qu'ont porté la plupart des discussions. Le résultat : une parabole sur " Alexandre Zacharie ; l'homme qui ne possède rien que lui-même se vend". C'est-à-dire vend sa force de travail. Benedetto n'oppose pas deux systèmes, il présente un personnage rêvant de socialisme à partir d'une révolte individuelle. Sa collaboration avec les travailleurs havrais l'a conduit à un choix d'images symboliques aux références simples. Le lion, c'est la force unie des ouvriers. Le capitalisme est représenté par un masque coiffé d'un chapeau haut de forme, une main agrippeuse. On pense naturellement au Bread and Puppet. Mais si Benedetto a renoncé à la dédramatisation systématique, qui rendait difficile son précédent spectacle Kamodé (dans la version donnée cet été à Avignon, puisqu'il en a modifié la mise en scène), si l'on retrouve son efficacité scénique, si lui-même joue Zacharie avec force et nervosité, s'il apporte au personnage son ironie sèche et son intelligence, la maladresse de certains acteurs gêne parfois le sens même de la pièce.Il est vrai que le public, au cours des débats qui suivent les représentations, prouve par ses questions et ses commentaires qu'il a suivi le spectacle sans relâcher un moment son attention. Cependant, il est dommage que le talent de Benedetto ne s'accompagne pas d'une exigence accrue dans la réalisation. La rigueur dans le travail peut être compatible avec l'engagement dans l'action à travers le théâtre. Pourquoi les spectacles d'André Benedetto ne seraient-ils pas aussi achevés que ceux de Bread and Puppet ? »

Dans Travail théâtral, n°1 (octobre 1970), Daniel Jacquin qui a vu le spectacle à Avignon, salue un "théâtre nécessaire et de précision". Quelques citations : «Il importe de  poser la double question : quel théâtre se révèle nécessaire aujourd’hui ? À quel public doit-il s’adresser ? ( …) Théâtre simple mais pas simpliste, le théâtre de Benedetto est fondé sur une règle d’or énoncée par Brecht : "Montrer le monde aujourd’hui et le montrer comme étant transformable." (…) Le théâtre devient instrument de dévoilement de ce qui est caché ou incompréhensible dans les mécanismes qui régissent le monde actuel. »  Benedetto  « parvient à réaliser un théâtre de l’homme en éveil où tout ce qui constitue la scène est visible et compréhensible. (...) Y correspond un comédien qui a peu de points communs avec celui du mystère et du miracle, du principe d’identification…son travail n’a d’autre sens que d’être une médiation entre le spectateur et les mécanismes qu’on lui dévoile. La séquence terminée, il regagne les alentours du plateau, redevenant spectateur et juge. »