Cabaret satirique

Année de publication: 1976

 

VALENTIN Karl                       Cabaret satirique, traduit de l’allemand par Jean-Louis Besson, Bernard Chatelier, Sabine Cornille, Camille Demange, Philippe Ivernel, Jean Jourdheuil, Luc Wagner, précédé de Notes pour un spectacle par le GRAT, en quatrième de couverture un extrait de la préface de Philippe Ivernel et un texte de Bertolt Brecht, collection "Théâtre hors la France", P. J. Oswald, janvier 1976. -225p, ill.

Édition réalisée à l'occasion de la création pour la première fois en France d'un spectacle "Karl Valentin" réalisé par le Groupe régional d'action théâtrale de Saône-et-Loire et présenté le 2 décembre 1975 au Théâtre National de Strasbourg puis dans les principales villes françaises et à Paris.

Après une série de représentations à la M.J.C. Saint-Fons (du 15 au 24 janvier 1976), Tout ça c'est une destinée normale Cabaret satirique, d'après Karl Valentin et Liesl Karlstadt, était joué à la Cartoucherie, et chroniqué successivement dans Le Monde par Colette Godard le 6 février puis, le 12, par Claire Devarrieux.

«"Tout ça c'est une destinée normale". Sur l'estrade, le décor se transforme - un décor de Serge Marzolff, - les objets usuels deviennent étranges parce qu'ils sont accrochés à des panneaux peints qui se déplacent. Les comédiens se mettent à jouer de l'accordéon, les musiciens jouent tout naturellement la comédie. L'orchestre flon-flon accompagne gravement les éclats de rire des spectateurs installés autour de petites tables rouges. Nous ne sommes pas dans l'une de ces brasseries où Brecht venait écouter le cabaret satirique de Karl Valentin. Nous ne sommes pas à Munich, au début du siècle, personne n'essaie de nous le faire croire. Nous sommes à la Cartoucherie de l'Aquarium, en 1976, avec le GRAT, une troupe tout à fait d'aujourd'hui, réunie autour d'Ariette Chosson et de Jean-Louis Hourdin, qui ont découvert Karl Valentin en travaillant avec Jean-Pierre Vincent et Jean Jourdheuil sur la Noce chez les petits bourgeois. Ils ont fait traduire ses sketches - par Jean Jourdheuil, Jean-Louis Besson et quelques autres, - et voilà que, grâce à eux, on découvre en France ce que disait le clown maigre, et pourquoi Brecht l'aimait tant.
Karl Valentin montre des personnages, tous les mêmes, de tout petits bourgeois, des pauvres, des lampistes, des solitaires qui survivent au jour le jour, inconsciemment roublards, authentiquement ingénus, complètement désarmés. Ils ne peuvent pas se battre, à plus forte raison se révolter. Leur préoccupation essentielle, unique, est de se défendre en évitant les coups trop durs. Tout leur échappe ; donc, rien ne leur arrive qu'une accumulation d'incidents absurdes, extraordinairement compliqués. La conscience politique, la conscience morale, ils ne connaissent pas. Karl Valentin porte sur eux un regard impavide, ni complaisant ni cynique ; il ne juge pas. C'est un anti-Coluche. Le bien, le mal, le droit, la justice, qu'est-ce que ça veut dire quand le futur se limite à l'heure qui suit, parce que, demain, on ne sait pas si on aura encore du travail, un toit, de quoi manger. Ils sont installés dans l'insécurité, ils sont la masse anonyme, habituée à l'anonymat, à la soumission. Ils sont manipulables, lâches, stupides ; ils payent pour tout le monde, ils sont impitoyablement vrais, et, par la simple logique de leurs comportements, dénoncent sans pitié le système social qui les opprime depuis des siècles. Ils sont cruellement vivants, présents chez nous, en nous, dans nos lassitudes, nos laisser-aller, nos " à quoi bon ? " quotidiens.Karl Valentin décolle les signes vrais du cadre qui généralement les étouffe ou les enjolive, et il les projette tout nus, tout crus. De là vient la caricature : de la vérité poussée jusqu'à des limites anormales. Ses " héros " n'expliquent rien, ne cherchent pas à s'expliquer quoi que ce soit. La vie pour eux consiste à ne pas se laisser complètement écraser : " Tout ça, c'est une destinée normale... " La destinée de ces gens qui se débattent avec des mots dont ils ne possèdent pas les clefs, et qui correspondent à une réalité dont ils ne sont pas maîtres. Ils s'en servent d'une manière aberrante, un peu comme Raymond Devos, mais sans jamais jouer le jeu de la poésie, sans jamais intellectualiser. Le comique de Karl Valentin pèse de tout le poids de la misère des pauvres, s'enfonce dans les bonnes consciences comme une charrue dans la terre, met au jour une réalité pénible, sans l'affadir, en lui donnant au contraire des couleurs violentes, insolites. Et - quelle merveille de rire ! - on rit parce que les textes et les situations, qui passent du burlesque à la " tranche de vie " parodique, sont irrésistibles, parce que les personnages sont typés comme chez Molière, et que les comédiens du GRAT ont trouvé le ton juste, c'est-à-dire un peu faux, un peu à côté. Ils dérapent sur le naturel, se rattrapent sur l'intelligence, sur le plaisir de jouer, et Ariette Chosson est inénarrable. »  Colette Godard, Le Monde, 6 février 1976.

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«  Mais non, ce n'est pas un théâtre cruel. Tendre, très tendre, au contraire. À ceux qui sortent secoués des sketches de Karl Valentin, que l'on découvre avec jubilation à la Cartoucherie de Vincennes, Jean-Louis Hourdin répond " tendre " avec un drôle de sourire. À ceux qui auraient souhaité un jeu plus " forcé ", un " dépassement " dans l'interprétation, il explique que sur scène il ne réfléchit pas : " Je joue la comédie, dit-il. On ne montre pas les personnages. On restitue leur vérité. On est vraiment eux, on reste sincère même quand ils se contredisent. Aucune psychologie, ce sont des caractères typés, carrés. La distanciation, c'est au spectateur de la faire. " Et il parle du " plaisir et de l'émotion " sans lesquels il n'y a pas de théâtre.

Jean-Louis Hourdin et Ariette Chosson ont fondé cet été le le GRAT (groupe régional d'action théâtrale et culturelle de Saône-et-Loire). Prononcer "gratte" et on a le droit de rire. Lui, grand, sec, moustachu (va-t-il prononcer quelque parole cinglante ?), elle, petite, vive (elle est ce qu'elle joue, elle joue comme elle est, toute drôle) : Hourdin et Chosson. Ils font du théâtre depuis plus de dix ans. Il a suivi les cours d'art dramatique de l'école de Strasbourg. Il a fait un séjour chez Peter Brook. Elle a commencé à Lyon. À Paris, Gabriel Garran lui a donné un rôle de jeune première alors que jusqu'ici on lui " faisait jouer les gamines ". Ils ont passé quatre ans chez Vincent et Jourdheuil au Théâtre de l'Espérance ; ils ont sillonné la France en camionnette deux années de suite, jouant sur les places des villages, faisant passer le chapeau. Ils présentaient une histoire du capitalisme en trois quarts d'heure ; ils commençaient déjà à réaliser ce qu'ils voulaient faire : " Un théâtre simple, populaire. " Mais sur les places des villages, l'été, il n'y avait personne.

Cette fois, le Théâtre de l'Espérance, le Théâtre du Huitième à Lyon et le Centre dramatique national de Toulouse ont coproduit leur spectacle, et ils ont pu réunir autour d'eux six personnes, musiciens, comédiens, et un technicien, tous amis et amis d'amis. Ils vont continuer à jouer tout ça, c'est une destinée normale, jusqu'au mois de mars. Ensuite, ils auront peut-être encore assez d'argent pour tenir deux mois tous ensemble. Après, le rêve, c'est de s'implanter en Saône-et-Loire, où ils ont déjà pris des contacts. Là-bas, c'est loin de Paris, et c'est le calme. "Nous ne restons jamais assez longtemps dans les villes, déplore Ariette Chosson. Juste le temps de présenter le spectacle, de faire un peu d'animation, d'improvisation." En Saône-et-Loire, ils travailleront en continuité avec les collectivités. Ils ouvriront des ateliers, les gens créeront leurs propres pièces.  "C'est le contraire des troupes que l'on voit souvent à la Cartoucherie : eux sont des militants qui deviennent gens de théâtre. Nous, nous venons du théâtre pour aller vers la réalité. Nous sommes des professionnels, mais nous voulons déprofessionnaliser le théâtre, car c'est pour chacun un instrument formidable. "

Avec Karl Valentin, ils ont touché tout le monde, des malades mentaux, des enfants, des ruraux, parce qu'il s'agissait de situations et de personnages quotidiens. Ils continueront à monter des spectacles " simples ". Une épopée sumérienne, une pièce de Maïakovski, parce qu'on y parle "de la vie, de l'amour, de la mort, du pouvoir, de la violence et des possibilités d’espoir" ». Claire Devarrieux, Le Monde, 12 février 1976.