Jean-Pierre Bisson

Jean-Pierre BISSON, acteur, dramaturge, metteur en scène, né le 15 février 1944 à Charenton-le-Pont, mort le 12 décembre 1995 à Beaune. En 1975, il accepte le poste de directeur du Centre dramatique national de Nice, alors que Jacques Médecin, maire de la ville, vient de la jumeler avec Le Cap, capitale de l'apartheid. Il le restera jusqu'en 1978.

Outre quatre pièces - Le matin rouge - Paroxistique ou Paule,  Exemplaire histoire de la condamnation de la grâce puis de l’élection du lieutenant William Calley, Sarcelles-sur-Mer - éditées chez P.J. Oswald et  deux autres  - Balise de toi et Délivrez-nous d'O'Neil - parues en 1980 dans Théâtre magazine, n°3, Jean-Pierre Bisson a aussi écrit et mis en scène celles-ci, non publiées  :
Passion en bleu, blanc, rouge (1971), Lorenzo (1972), Ce que les femmes préfèrent (1973), Smoking ou Les mauvais sentiments (1973), Cesare 1950 (1974), Barbe-bleue et son fils imberbe (1975), Encore un militaire (1976), L’amour est italien, la mort est française (1977), La peau trop fine (1992).

Voici le portrait que faisait de lui Martin Even, dans Le Monde, du 19 octobre 1973. « Né à Charenton de parents qu'il décrit, avec une rage adolescente, comme des parents gaullistes et antisémites. Jean-Pierre Bisson est un instituteur raté, aux cheveux longs, qui prend sa revanche tous les soirs au théâtre. Là, metteur en scène, auteur, et comédien, il soliloque au milieu de sa troupe dans des lieux invraisemblables. Il a planté le décor de Sarcelles-sur-Mer au milieu du dénuement para-militaire de la Cartoucherie de Vincennes. Il a transporté ses H.L.M. sentimentales à la Cardère d'Avignon, l'été venu, dans la nuit provençale et le silence d'une ruine aux lézardes assez néoréalistes. Il est aujourd'hui entouré de désuétude, au théâtre du Ranelagh, grandiose, accroupi dans un baquet de fer blanc rempli d'eau tiède, une bouteille de whisky à la main ; et là, il se dresse soudain, boit, fume cigarette sur cigarette. Drôle, inquiétant, lyrique, faussement désespéré, vêtu d'une sortie de bain en tissu éponge bleu et rouge, trempée. Et là, il raconte ses nostalgies, fantôme bourgeois de l'Octave des Caprices de Marianne, avec juste ce qu'il faut de charme et de rictus pour contenir le rire, pour retenir la larme. À deux doigts de la folie et de l'illusionnisme. Car son Sarcelles est un théâtre, et la mer est son public. De Charenton à Sarcelles, l'itinéraire était assez bien tracé pour qu'on puisse y voir prédestination, avec des villes de banlieue, et des métiers d'occasion, tels que reporter-photographe dans les music-halls, hussard en Allemagne dans un bataillon disciplinaire, ou bien pigiste à la rubrique sportive d'un quotidien du matin. Entre les quadrilatères de béton, il s'initiait en fait au romantisme et bêchait le jardin familial en écoutant du Mozart. Il y cultivait, surtout, le sentiment du manque. "J'ai toujours été très exhibitionniste, dit-il. Déjà chez les louveteaux, alors que j'avais seulement onze ans, je montais une pièce de théâtre pour la jouer autour du feu de camp. C'était une Passion du Christ, et je jouais le rôle du Christ. Et puis, j'ai rapidement pris conscience que je préférais ne tirer aucun profit d'aucun travail plutôt que travailler sans profit, à l'image de ma famille. Et je craignais tellement d'être comme eux, que j'ai choisi ce qui était le plus éloigné de leurs préoccupations : j'ai choisi le théâtre. Instituteur, ça m'aurait bien plu, mais je n'étais que suppléant, et le corps enseignant avec ses blouses grises ne me changeait pas tellement du milieu familial, uniforme pour uniforme : mon père, qui était gardien de la paix, m'a même proposé de devenir contractuel quand il a vu que j'étais sans travail, mais, heureusement, il n'y avait pas de casquette à ma taille."                                                                                                                                                                                                               Jean-Pierre Bisson montait alors les Justes de Camus dans une salle de patronage protestant ; entrait au cours Dullin où il se distinguait par son sens du vedettariat ; jouait dans deux spectacles du T.N.P. ; et puis mettait en scène le Silence de la mer de Vercors, dans une adaptation de Jean Mercure, à Chelles, où habitaient ses parents. "Ensuite, dit-il, je me suis identifié à Edgar Poe, et j'ai écrit une version scénique de William Wilson. Ça s'est joué dans des petites salles de banlieue. C'était bien : je forçais ma femme à jouer là-dedans avec le même sadisme qui me poussait ailleurs à la faire chanter trop haut, pour lui faire casser une corde vocale. Et puis ça a été l'Échange de Claudel, dans toutes les salles pourries du coin : presque quatre-vingt-dix représentations. "En 1968, il fit ce qu'il devait faire : il occupa un théâtre. En juin 1968, les théâtres n'étant plus occupés, Bisson était à Paris, comme son prédécesseur tricentenaire, Molière. Lui aussi, plein d'idées, et sans engagements, et sans mécène. Et on imagine bien les bouts de ficelle, les arrangements boiteux et les traites qu'il faut alors trouver, inventer, signer, pour s'imposer, pour jouer, pour faire jouer ses pièces, quand on ne veut plus du théâtre des autres mais qu'on a besoin de leurs salles. Période prolifique : Jean-Pierre Bisson crée, coup sur coup, Matin rouge (écrit en 1967), Passion en bleu, blanc, rouge, Lieutenant Colley, et Sarcelles-sur-Mer, pour laquelle il obtient sa première subvention. "Mes premières pièces, dit-il, c'était de la liquidation. Tout y passait, mon père, ma mère, le milieu d'où je venais et qui ne pense que par maximes - des maximes du genre : Si tu leur donnes ça, ils te prendront ça  - mais, maintenant, ça va mieux, je m'en suis débarrassé. Quand je vois mon père, on parle de voitures. Et je suis invité dans les théâtres subventionnés, où on me considère comme un espoir du jeune théâtre, ce qui est faux, car il n'y a pas de jeune théâtre, mais seulement des manques économiques." Ainsi, les compagnies de naguère couraient-elles les routes en quête d'un cachet de misère chez les beaux seigneurs de la province, désireux de faire rejaillir sur leur entourage le prestige de l'art et l'éclat de la nouveauté, rehaussés le plus souvent de récits légendaires où on parlait de Paris. Chez Jean-Pierre Bisson, les comédiens sont payés à la recette, et les bénéfices servent à combler les déficits. Mais la troupe se rapproche de la cour : invitée au Festival d'automne, à Paris - pour 5 millions de francs anciens de subvention - elle va y jouer Smoking, et ce sera, puisque le lieu y invite, du théâtre "riche", du théâtre "esthétique", avec des smokings blancs, doublés de violet, doublés de rouge, commandés à un ami tailleur. Le texte en est au même point que les costumes : Jean-Pierre Bisson est en train de l'écrire, au fur et à mesure, à la mesure des comédiens, car il n'y a pas de raison de forcer les gens à entrer dans des textes qui ne leur vont pas. Smoking sera, comme son nom l'indique, une pièce de théâtre bourgeois. Ce sera du boulevard.  "S'il y a un public pour le boulevard, c'est qu'il y a de bonnes raisons à cela, dit Jean-Pierre Bisson. Il ne faut pas le mépriser comme on le fait trop souvent dans les théâtres populaires. Il faut s'en occuper. Lui parler de ses problèmes, du cul, du couple. Les gens ont besoin qu'on leur parle de ce qui les touche, alors que les gens qui écrivent évitent de parler d'eux-mêmes, et préfèrent s'abriter derrière la technocratie, la scénographie, la dramaturgie. Moi, je parle de choses qui me préoccupent aussi. Et j'ai envie de parler de la vie des couples, car le grand malheur de nos nouvelles sociétés c'est qu'on tente d'y imposer de fausses idées de libération - d'autant plus fausses que cette libération n'existe pas, et n'existera pas, mais qu'on en parle, et qu'on y pense, et que les couples se désunissent. Alors que le sentiment de possession que peut éprouver une femme pour un homme, un homme pour une femme, c'est ce qu'il y a de plus important dans le petit peu de temps qui nous est donné pour vivre. Et comme l'infidélité de celui que l'on aime fait davantage souffrir que la situation au Chili, je crois que je suis en train d'écrire ma première pièce politique. Car pour faire du théâtre populaire dans une société d'aspiration bourgeoise, il faut peut-être faire du théâtre bourgeois. Je dis cela honnêtement, et je crois que je tricherais en parlant autrement." Des "loulous" de banlieue qui hantaient son Sarcelles, aux smokings de sa nouvelle société, Jean-Pierre Bisson passe sa vie à vivre, et à s'ennuyer très vite, très sincèrement, avec des amours et des bravos, des histoires de femmes et des jours de cafard. Il appartient à ce genre de types plutôt beaux qui disent : Je t'aime, mais qu'on ne croit jamais. Et il en souffre un peu.»