Jacques Kraemer

Jacques KRAEMER est né à Metz le 15 août 1938, dans une famille d'origine polonaise. Ses parents sont de petits commerçants. Après des études au Centre d'art dramatique de Paris, il fonde le Théâtre Populaire de Lorraine en 1963 et monte plus de vingt-cinq spectacles choisis aussi bien dans le répertoire contemporain que classique. À partir de 1968, il s’engage avec l’équipe du T.P.L., dans une voie nouvelle de création dont la préoccupation principale est de « lier l’écriture textuelle et scénique aux réalités socio-culturelles du public auquel s’adresse la troupe dans la région d‘implantation qu’elle s’est choisie.» Il écrit Splendeur et misère de Minette la bonne Lorraine (1969 ; Seuil, 1970), La nuit finit à Tours (avec René Loyon, 1970), Les Mésaventures du petit vacancier partie pour la grande bleue dans sa voiture verte (sketch en collaboration avec Chantal Mutel et René Loyon, inédit, 1971) puis, entre 1971 et 1975, La Liquidation de monsieur Joseph K., Les Immigrés, La farce du Graully, Le retour du Graully,  Jacotte, Les Ciseaux d'Anastasie, Noëlle de Joie, tous parus chez P. J. Oswald.

Du même auteur également :

  • Histoires de l’oncle Jakob - Les Ciseaux d’Anastasie, L’Avant-scène, n°601, 1er janvier 1977.
  • La véridique histoire de Joseph Süss Oppenheimer dit Le juif Süss, L’Avant-scène, n°704,1982.
  • Face de carême, Théâtre Ouvert, tapuscrit n°32, 1983.
  • Thomas B., L’Avant-scène, n°848, 1989.
  • Le Golem, Les Quatre-Vents, 1999.
  • Le Home Yid, Les Quatre-Vents, 2003.
  • Kassandra Fukushima - Prométhée 2071, L'Harmattan, 2012.
  • Trois nuits chez Meyerhold - Cage, Tituli, 2014.
  • Un phare dans la nuit profonde, Tituli, 2015.

Ci-dessous Le projet du T.P.L., article de M. E. paru dans Le Monde du 21 octobre 1971. «Il y a trois ans, ils jouaient Brecht (comme tout le monde) devant le public déjà traditionnel du théâtre dit "populaire". Ils ne sont plus que deux, Jacques Kraemer et René Loyon ; ils ont choisi la voie étroite, ardue, l'aventure non l'exploit, et dressé un constat ; leur théâtre populaire est un "projet" à long terme.
Le Théâtre populaire de Lorraine (T.P.L.) a installé son siège social à Villerupt, ville-usine de près de quinze mille habitants, en majorité des ouvriers, une municipalité communiste bienveillante. "On va au public là où il se trouve", dans les lieux non théâtraux, donc : les maisons de jeunes, les foyers socio-éducatifs, au syndicat ou dans les meetings. Et puis on tente de l'amener dans nos salles". Entre Metz et Luxembourg, Jacques Kraemer et René Loyon sillonnent le bassin minier, les vallées sidérurgiques de l'Orne et de la Fentsch. Un ancien élève du Conservatoire et un jeune Lyonnais que Planchon faisait rêver. Ils jouent Candide (d'après Voltaire), la Liquidation de M. Joseph K. (d'après nature), attendent leur public, ouvriers, militants, intellectuels ("l'avant-garde ouvrière") à l'ombre des cathédrales de la civilisation industrielle, hauts fourneaux d'Hayange, d'Uckange, usines d'Homécourt, panaches de fumée et crassiers-collines, témoins de l'effort continu du mineur de fer, de l'aciériste. Le T.P.L. s'est assigné un "projet" fondamental, être le théâtre de ces gens-là. Mais pas pour la galerie, pas en surface : "La Lorraine, ce n'est pas un label." Cette saison, malgré leurs difficultés financières, Kraemer et Loyon ont refusé des tournées. "On ne peut pas faire un travail valable si l'on est absent plus d'une semaine par mois" : le théâtre ne se mesure pas à l'aune des représentations. Refus de l'art pour l'art, mais non de la création ("Je dis la création, car il faut lutter pour tout, même les mots"). "Le T.P.L. appartient à la collectivité", il représente ses préoccupations de façon "critique", mais non dogmatique ("car réduire l'art à la politique, c'est une mutilation"). Kraemer et Loyon sont les enfants (la troisième génération, après Dasté, après Planchon), de la décentralisation ; ils ont les mêmes problèmes : lutte pour obtenir un statut, des subventions, mais aussi la volonté de s'implanter au-delà des abonnements - sans les négliger cependant. Ils engagent une militante ouvrière pour leurs démarchages à Villerupt. À chacun son travail. Le T.P.L. est une entreprise de neuf employés. (Pourquoi seulement deux comédiens? - " Quand on veut tout faire, on le fait mal "), tous payés au tarif syndical.

Le concept de non-public n'est pas scientifique, dit Kraemer ; le projet du T.P.L., c'est le "grignotage". Aujourd'hui, il y a trois cents spectateurs fidèles à Villerupt, presque tous ouvriers - mais trois cents sur quinze mille, une élite. Le T.P.L. partage les vacances des mineurs de l'U.M.O. (Le Monde du 18 août), il multiplie les interventions dans le triangle Metz, Homécourt, Villerupt. À la mairie de Metz, le nouvel élu, M. Jean-Marie Rausch, leur accorde un préjugé favorable, "malgré - il faut bien le dire - l'hostilité de certains" (on les trouve trop "d'avant-garde"; trop " politiques »). Mais M. Rausch compte sur eux pour créer une animation profitable à la ville ; à l'université qu'il veut développer. Cependant, Metz est bourgeoise (un "non-public" peut-être, mais d'un autre genre) et, - derrière les façades lourdes et germaniques, on n'a pas oublié l'affaire de Minette la bonne Lorraine ... - est plus éloignée de la création artistique. Cette pièce, les mésaventures de la minette de Lorraine que les " industriels-proxénètes " abandonnaient parce qu'elle avait fait son temps (et parce que la teneur-fer du minerai de Mauritanie est supérieure), marquait pour le T.P.L. la fin d'une époque heureuse, celle où Kraemer, déjà couvert de dettes, faisait venir des comédiens de Paris ou de Strasbourg pour jouer Brecht, O'Casey, Adamov, devant le public des comités d'entreprise. Mais, en perdant son théâtre, ses subventions, son répertoire, le T.P.L. a trouvé sa voie originale. L'idée politique a pris corps ; la rencontre avec les militants cégétistes a gagné en authenticité. (Ainsi un théâtre pouvait disparaître pour avoir osé raconter la vie, leur vie !) La lutte pour la survie du T.P.L. est devenue exemplaire. La petite cité de Villerupt a donné des locaux, et une subvention de 30 000 francs. 1971 : des subventions substantielles vont revenir, les portes de Metz sont entrouvertes, mais Kraemer et Loyon n'abandonnent pas leur voie ; ils inondent la région de tracts (soixante-dix mille), d'affiches (mille six cents), mais ne font plus de "prises de parole" : l'organisation du public, c'est l'affaire des relais, les syndicats, les maisons de jeunes. La saison du T.P.L. tourne autour d'un thème unique : l'Autre, l'immigré - ces immigrés qui constituent la quasi-totalité de la classe ouvrière du bassin sidérurgique (vingt-cinq nationalités à Villerupt). "Dès l'automne, le T.P.L. va présenter son "spectacle d'intervention " intitulé Chronique théâtrale pour un spectacle sur les immigrés, théâtre sur le théâtre ("raconter notre travail"), mais aussi débats projections, interviews, essais de dramatisation, réalisation de magazines sonores. Au printemps, le spectacle sera élaboré, et peut-être de nouveaux comédiens seront là. Théâtre militant -  "mais nous n'avons pas de leçons à donner" - le T.P.L. entend avant tout acquérir le public à la cause du théâtre. Si le répertoire de Kraemer et Loyon est politique, c'est qu'il n'est pas possible de faire autrement - dans le contexte actuel - face au public. "Le public de Minette pouvait apprécier le fait théâtral, car les valeurs culturelles mises en scène étaient les siennes."  "Le public que nous touchons est plus éloigné de la création artistique que de la politique." »